En septembre de l’an dernier, une centaine de hipsters graissés à la brillantine investissait le Petit Campus à Montréal, bandana en foulard autour du cou, lunettes noires d’aviateur sur le pif, zippo dans la poche intérieure du cuir, tiags affûtées au schlass à cran d’arrêt, et une poignée de biftons dans les poches du futal pour parer à la soif.
Un début de grabuge et ça aurait arqué les guibolles et claqué des doigts partout dans la rue Prince Arthur. Le rédac’ chef de « Le Rennet », zeboss himself, était dans la place, comme je devais l’apprendre quelques mois plus tard. Le fait que ni lui ni moi ne s’aperçut de la présence de l’autre témoigne du caractère accaparant de l’événement.
La raison de cette effervescente résurgence des fifties ? Heavy Trash. Soit Jon Spencer et Matt Verta-Ray revenus d’un voyage temporel en l’Amérique d’Eisenhower dans un ovni cahotant bourré à craquer de trinitrotoluène, de gomina et de matos d’époque. On ne présente plus le prêcheur survolté du Blues Explosion, zélateur speedé du grabuge électrique, mètre soixante de charisme concentré à rouflaquettes touffues.
Son compère Matt Verta-Ray, belle gueule et belles chemises, le look coco (et sans doute amphètes aussi), a fait le bozo avec les Speedball Baby dans les épisodes précédents. Par la suite, il s’est forgé une réputation d’arrangeur pas piqué des blues et, en passionné de la matière sonore, il s’est offert son propre studio.
Les deux bonshommes se rencontrent lors d’une tournée commune entre leurs groupes.
Ils se découvrent derechef une passion commune pour les fifties. Moins les abris antiatomiques en kit familial, la chasse aux sorcières et la bonne morale conservatrice. Le Blues Explosion et Speedball Baby végétant depuis certaine lurette, Spencer et Verta-Ray franchissent le pas et montent ensemble un side-project rockabilly.
Depuis lors, les deux acolytes répandent l’impie Parole du rock’n’roll telle que la hoquetaient jadis les disciples du Eddie Cochran, du Little Richard et du Jerry Lee. Heavy Trash, c’est la rencontre entre Fonzie et Dracula dans un magasin de guitares vintage à Redneckville, Tennessee.
On a rarement entendu paroles aussi crues que sur leur premier album de 2005. « Hey, baby, ta mère est une pute ! » s’exclament les deux allumés sur « Lover Street », après un simple tour de chauffe en ouverture d’album. « C’est comme ça. Faut que ça reste dans la famille ». Puis, sur le titre suivant : « On m’appelle le mal-aimé. Je suis une méchante teigne de fils de pute. Appelez-moi le sans-cœur… J’en ai rien à branler. Parce que quand tu vas entendre ma moto rugir, ma poule, tu ferais mieux de bouffer la poussière et sucer le sol. » Un long rot dégueulasse introduit la cinquième piste, « Justine Alright ». Spencer cabotine à qui mieux-mieux sur un shuffle de turboréacteur. « Gatorade », c’est carrément une ode au cunnilingus : « J’ai dit : mais chérie, tu te sers pas de ce truc pour pisser ? Elle a répondu : pourquoi est-ce que tu le sucerais pas, pour voir ? Je me suis senti un peu drôle, mais, si tu veux savoir, j’ai essayé. Aouh ! Un petit coin de paradis, juste entre ses cuisses ! » En trente-neuf minutes, les deux briscards régurgitent blues, boogie, gospel et rockabilly avec une aisance et un zeste confondants. La voix de Spencer est mise en avant, pour le meilleur : le turbulent rockeur croone, harangue, rugit, trépigne, halète, exulte. Derrière, Matt Verta-Ray tord les notes de guitare dans tous les sens jusqu’à en faire suinter un groove crado, obéissant à la directive du pater Robert Johnson : « Compresse-moi le citron jusqu’à ce que le jus me coule sur la jambe ». Un orgue du meilleur tonneau et des choristes mielleuses couinent discrètement çà et là. En live, ces chansons sont autant de mandales qui remettent les idées en place. Cette soirée de septembre 2006, le bien-nommé Bloodshot Bill (« Bill Injecté de Sang ») ouvrait les hostilités. Le Petit Campus est une salle tout ce qui se fait de plus feutrée, située en haut d’un escalier assez raide sur le tronçon pavé de la rue Prince-Arthur reliant le carré St-Louis (havre à clodos avec kiosque et fontaine) au boulevard St-Laurent (segment des fils à papa et nymphomanes anglophones en Dolce et Gabbana). On y trouve des bars et des restaurants méditerranéens pas donnés, un dépanneur (épicerie) et un vague crêpier qui vend aussi des glaces. En haut des escaliers, un vestiaire, des hôtesses souriantes, puis une petite salle carrée au plafond bas. D’un côté, la scène, de l’autre une estrade comportant deux ou trois tables et quatre ou cinq chaises. Au milieu de tout ça, une trouée hébergeant une console de mixage sur laquelle s’affairent les habituels ingénieurs du son imbus de leur personne. C’est bien connu, pousser des boutons et tourner des molettes rend les gens prétentieux. Debout dans une niche attenante au vestiaire, une barmaid tatouée fournit les boissons.
Je finissais ma première Molson lorsque le colosse Javanais à la banane luisante posa son cul sur un tabouret sans prononcer un seul mot, et soudain BAM, il se mit à bastonner sa guitare, martelant de ses pieds la grosse caisse et les cymbales posées devant lui, éructant des brouettées d’insanités. C’était du tronçonnage en règle- à ce rythme-là, le gars déboisait toute l’Amazonie au médiator en quelques jours. Il n’en serait resté qu’un marais de sueur, de salive et de graisse. Après cinq chansons en presque autant de minutes, en effet, la scène était déjà couverte de ses glaviots (il molardait à tout va), de ses essences corporelles et de la brillantine qui gouttait de son front. Sa banane était démantibulée, sa chemise rouge n’était plus qu’une flaque malodorante, mais il continuait de gueuler, de pilonner et de tronçonner. Aucun temps mort. Un phénomène. On ne sera pas surpris d’apprendre qu’il a été interdit de séjour aux Etats-Unis. Adossé au linteau des coulisses sur le côté gauche de la scène, Matt Verta-Ray, caméra au poing, n’en perdait pas une goutte.
Comment prend-on la suite d’un one-man band fou à lier ? Pardi ! En la jouant orchestre de flingueurs en chemise brodée. Pour la partie canadienne de leur tournée, les Heavy Trash avaient débauché les Sadies, gang de pistoleros élevés au Band, au Quicksilver Messenger Service, aux frères Allman et aux Byrds période « Sweeheart Of The Rodeo » (profitons-en pour saluer leur dernier disque, « New Seasons », excellente concoction de country-rock psyché). Sur chaque côté de la scène, un frère Good en blazer batifolait avec une guitare, un orgue, des pédales et des amplis. Entre les deux, attifé comme un mac à Vegas en 1969, Matt Verta-Ray moulinait en dandinant des hanches. Derrière lui, un barbu adipeux dansait une gigue avec une contrebasse. Le batteur avait la frappe sèche et précise du maréchal-ferrant.
Entouré de tous ces cadors, Jon Spencer y allait de bon cœur, débitant quarante mots à la croche et centrifugeant comme une essoreuse. C’était donc ça, un chanteur de roquènerolle. Mince, on n’en avait jamais vu avant, finalement. Les amplis déflagraient des power chords chromés sur un groove concassé comme une carcasse de bagnole. Toute l’assistance battait du pied et hochait la tête au rythme fou de la chamade irrésistible. Ca donnait envie de tripoter des inconnues et de se faire cogner sur la gueule et de bousiller une téloche ou une bagnole. Ca donnait envie de coller une mandale à son patron, de bouffer un steak, de saccager un casino. Ca donnait envie de rouler une pelle à un drag, de se jeter sur le capot d’une voiture de police, d’initier une alerte à la bombe. Ca donnait envie d’être un chanteur de roquènerolle pour donner soi-même envie de tout ça aux autres.
Après plus d’une heure de mitraillage continu, les musiciens ralentirent le tempo pour enchaîner sur un sermon bluesy. Spencer soliloquait comme un prêcheur qui déraillait. Il réussit même à nous faire adresser des « I Love You » à dobeliou Bush. Ca n’est pas donné à tout le monde. Puis il descendit de scène pour venir s’asseoir parmi les cent-cinquante veinards qui composaient l’assistance. Il fit s’asseoir les gens en cercle autour de lui, et tandis que le groupe continuait de jouer le même motif répétitif, abaissa sa voix jusqu’au murmure. On se serait cru en plein pow-pow, prêtant l’oreille aux vaticinations de l’homme-médecine. Soudain il se releva d’un bond en gueulant, et le groupe paracheva la soirée avec un « Yeah Baby » supersonique. Généreux, les Heavy Trash canonnèrent plusieurs salves en rappel, gouaille et plaisir de jouer intacts. On sortit du Petit Campus la mâchoire tombante, tous poils raidis. On venait d’assister au concert de rock quintessenciel.
Or donc le deuxième album du binôme est sorti il y a peu. Moins groovy que le premier, « Going Way Out With Heavy Trash » est en revanche plus incisif, plus rentre-dedans, plus proche en définitive du Heavy Trash live. Le fait que les Sadies oeuvrent sur cinq chansons y est sans doute pour beaucoup. Comme pour le premier album, la chanson d’entrée n’est qu’un chauffe-doigts anecdotique. Le barouf sérieux commence à la deuxième piste avec cet « Outside Chance » faramineux. Un tonnerre de guitares, un enclumage sec, des entrelacs d’orfèvre, un chorus épidémique, un solo griffu, des chœurs ! Et un Spencer fidèle à lui-même, c’est-à-dire à donf. Tous les refrains de tous les titres suivants sont à se taper la tête contre les murs, jusqu’à la onzième piste peut-être, à partir de laquelle l’album commence à s’essouffler. « Double Line » la joue funky ; « Kissy Baby » et « They Were Kings » (hommage à tous les rockeurs de seconde zone des débuts du genre) dérouillent le rockabilly dans les cordes ; « I Want Oblivion » et « Way Out » l’achèvent à poings nus.
Joe L’Trembleur
ça y est, on a encore droit à une attaque des plutoniens… qcxgftsccs, messieurs, qcxgftsccs…
En effet, nous avons bien constitué un groupe de travail sur ce chef d’oeuvre inconnu et injustement boudé par les critiques… Adaptation du Cid de Corneille, ce monument du cinéma est également sorti sous le titre « qu’il est joli garçon l’assassin de papa »… A découvrir de toute urgence au rayon charcuterie en gros!
Arrête de ramer, tu attaques la falaise !!!
Ni l’un ni l’autre, cher ami fourbe et plein de rancoeur… cette date de H.T. tombait en plein dans l’université d’été des marronniers où Rennet était invité quant à la propagation de la presse pétrolière et des agendas en plastique de zébus… Vive la presse en hydrocarbures et les infirmières bulgares!
Ma parole, que faisait le rédac’ chef de « Le Rennet », zeboss himself, au Petit Campus de Montréal ??? Etait-il là pour surveiller le travail de son contributeur, ou pour draguer les petites étudiantes ? J’exige des explications !