Au terme du visionnage forcené des quelque 200 épisodes que comportent les huit saisons de That ‘70s Show, une conclusion s’impose, ferme, définitive et lapidaire, dans l’esprit du fan improvisé critique : cette série est un véritable chef d’œuvre!
Loin des standards des superproductions hollywoodiennes actuelles basées sur des castings de stars, des budgets colossaux et des décors archi-fouillés, l’œuvre de Mark Brazill, Bonnie Turner et Terry Turner prouve que c’est avec le vieux « pot » qu’on fait les meilleurs soaps.
That ‘70s Show met en scène le quotidien d’une bande d’adolescents à Point Place, ville fictive du Wisconsin, un état qui est aux USA ce que la Creuse est à la France : un coin vraiment paumé. L’action, si tant est qu’on puisse parler d’action, se déroule à la fin des années 70, comme le prouve l’utilisation massive – mais pas abusive – de chemises à fleur du meilleur kitsch, de coupes de cheveux improbables et de musique disco. C’est dans ce contexte résolument rétro qu’Eric, Kelso, Hyde, Fez, Donna et Jackie évoluent. Dans le sous-sol d’Eric – squat privilégié de la bande –, dans la cour, chez Donna, au lycée ou ailleurs, les couples se font et se défont, les mauvais coups se préparent et se réparent.
Personnage central de la série, Eric Forman est un adolescent chétif et un rien poule mouillé, doté pourtant d’un humour caustique plutôt corrosif. Amoureux depuis son plus jeune âge de sa voisine Donna, il doit essuyer les sarcasmes de son père Red, un très autoritaire vétéran de la guerre de Corée, les attentions maternantes embarrassantes de Kitty, son hystérique et alcoolique de mère, et les mesquineries de sa sœur Laurie dont la réputation de traînée n’a rien d’usurpé. Au sous-sol, dans le salon ou dans la cuisine de la maison des Forman entrent, vont et viennent les amis d’Eric : Hyde, le rebelle branché ; Kelso, le beau gosse crétin ; Fez, l’étranger pervers ; Jackie, la riche écervelée ; et Donna, la petite amie patiente et compréhensive. Même Bob et Midge Pinciotti, les voisins et parents de Donna, n’hésitent pas à se taper l’incruste pour discuter le bout de gras, au grand désespoir de Red et Kitty.
Peu d’action, et un fil conducteur assez lâche entre les épisodes permet de les regarder presque indépendamment. L’intérêt de la série n’est pas là en effet. A l’image de Friends, les auteurs ont choisi de coller autant que possible à la règle des trois unités – de temps, de lieu et d’action – chère aux dramaturges classiques. Car un épisode de That ‘70s Show se regarde en effet comme une saynète de théâtre comique, impression renforcée par la manifestation quasi-continue de rires à gorges déployées émanant de voix off hilares. Loin d’agacer, ces démonstrations imposées d’alacrité renforcent le plaisir du téléspectateur en l’invitant à rire à l’unisson.
Comme toute fiction mettant en scène les Etats-Unis des Seventies, That ‘70s Show comporte son lot de substances illicites. Au premier rang desquelles, évidemment… la bière ! Si les efforts désespérés de ces adolescents pour laper quelques gorgées de la précieuse boisson prêtent à sourire, il ne faut pas oublier que lesdits ados sont mineurs ! On se souvient alors avec émotion de nos premières cuites… L’inhalation par voie pulmonaire d’un certain type de fumée est quant à elle scénarisée de manière récurrente, c’est-à-dire dans presque tous les épisodes : nos comparses se retrouvent assis en cercle autour de la table dans le sous-sol et débitent à tour de rôle les pires stupidités. Là encore, l’analogie entre ces « 360° » et notre propre jeunesse s’impose à notre esprit.
Car la grande force de That ‘70s Show, et sans doute la principale raison de huit années de succès d’audience jamais démenties, c’est que n’importe qui peut s’identifier aux personnages. Cette assertion ne vaut peut-être pas pour les anciens scouts d’Europe aujourd’hui colleurs d’affiches pour l’UMP, mais elle est indéniablement valable pour toutes les personnes à-peu-près saines d’esprit et un peu moins de corps que nous sommes. Mais foin de considérations oiseuses et de circonlocutions superfétatoires, disons-le tout net et tout plat : Eric, Hyde, Kelso, Fez, Donna ou Jackie, ce sont nous. Leurs conneries, ce sont les nôtres. Leurs parents, leurs collègues, leurs voisins, ce sont les nôtres aussi. Leurs joies et leurs peines n’ont aucun secret pour nous puisque nous les avons vécues.
L’arrêt définitif de la série en 2006 a été et restera un crève-cœur. Mais tant qu’on a de la bière et un peu de la substance renfermée dans les grandes enveloppes marron de Hyde, on devrait bien arriver à écrire la suite, non ?
Pasteur Dave