Effet direct de la crise, mon frigo me prend en filature tous les samedis. Je vois sa prise dépasser de derrière les réverbères, ifs et pots de fleurs de mon parcours de flânerie. Malheur à moi si je ramène une gâterie: il me fera le coup du frigidaire incontinent. Je l'entends claudiquer en hâte dans les escaliers lorsque je pénètre dans le hall de mon immeuble
Là je me vois contraint de ramasser le courrier régurgité par ma boîte aux lettres, devenue intolérante aux factures, publicités, lettres de rappel. Impossible de rien allumer dans mon appartement: tous les interrupteurs se rabattent dès que j'ai le dos tourné. Je ne suis plus chez moi. Les Madoffs du capital ont dressé mon petit confort contre moi.
Victime d'une insurrection électroménagère sans précédent, la multitude des tricards terriens se voit obligée de faire emplette de bougies dans toutes les supérettes du monde. Dans certains cas, à l'instar d'une histoire courte de Maupassant période « ça va pas bien dans ma tête », c'est le mobilier tout entier qui décampe à la faveur de la nuit.* Rappelez-vous ce jeune de vingt ans piétiné par un troupeau d'armoires et de commodes tandis qu'il grimpait les escaliers de son immeuble à deux heures du matin! Bien que la connivence de l'ascenseur n'a pu être établie, l' Organisation des Concierges Unies recommande la méfiance à tous les usagers des transports verticaux.
D'un point de vue statistique, le réseau des brocanteurs de France estime le nombre de meubles en vadrouille à une dizaine de milliers. Pas plus de mille, selon la police. On en retrouve qui se faufilent frauduleusement dans des enchères somptuaires. D'autres vont aux huissiers. Quelques-uns font barricade entre les banlieues et les centres-villes. À Sochaux, on a vu se défenestrer des cuisines et des salles de bain par douzaines, éviers, plaques chauffantes, canards de bain et tout le toutim Dépassée par les évènements, Mme Boutin n'a pas su prendre d'autre décision que de nommer des médiateurs encravatés, procédure habituelle du gouvernement quand une situation donnée part en couille. D'ici à ce que ces experts ès fronde mobilière nous pondent un rapport, tous les contenants de France et de Navarre se seront taillées en Suisse, buffet sculpté du trisaïeul finistérien y compris. C'est dans ce contexte préoccupant que le quotidien « Dernières nouvelles du meuble » nous rapporte ces propos du président de la République : « aujourd'hui, quand un guéridon se barre, plus personne ne s'en aperçoit ». Je sais pas pour lui, mais moi j'ai un pote qui a vidé trois tubes de super glu dans son appartement. Il ne se déplace plus chez lui qu'au moyen d'une liane importée d'Amazonie. Maintenant que j'y pense, ça fait trois jours que j'ai pas de nouvelles. Si encore je pouvais compter sur mon téléphone!
Dans ces conditions hasardeuses, il est bon de savoir que certaines valeurs restent stables. Les vieilles pierres, par exemple! Tenez, moi, si j'avais de l'argent, je miserais un paquet sur le silex. En voilà une valeur d'avenir!
*« Qui sait? », Guy de Maupassant
Groucho Brindamour
Amicale Lycanthropique de Chaudière-Appalaches