L’homme moderne et pressé se doit d’emprunter le TGV… c’est ainsi que rattrapé par mon époque, je me dois, par instants, sauter dans le train de l’innovation, tel un Hobo électrifié, et me laisser bercer par ces luxueux Express à haut débit…
Tant l’aisance de ces carrioles impeccables peut convenir à la rêverie instantanée, tant je fais définitivement partie de ces voyageurs liseurs, ceux pour qui la moindre virée peut se transformer en marathon littéraire, faisant passer Bernard Pivot pour une lanterne rouge… Pas décidé à transbahuter les 20 tomes de « le psychédélisme des années De Gaulle », je me décide parfois pour de la lecture de type magazine. Non pas que l’offre dudit type concerné soit des plus affriolante, mais il est bon parfois de se gausser mollement en lisant cette littérature jacobine… c’est donc tout naturellement que je me dirige vers un exemplaire de Rock and Folk, priant l’ectoplasme de Buddy Holly que le dossier ne soit pas sur la nouvelle bande du Gibus. Gagné ! La trogne de Ringo Star ne laisse que peu d'ambiguïté sur la teneur de ce numéro… j’en glousse !
Pas convaincu de coller quelques euros dans un magazine du Figaro (bien que j’adore voir les gueules des descendants de Marie-Antoinette et consorts), je laisse mon œil flâner négligemment sur ces revues bigarrées qui font passer le contingent féminin pour un Tiers état sur talons, glissant sur les revues de Tuning, dédaignant crânement les revues sportives… Le temps pressant et par désarroi, je m’approche de la caisse afin d’y effectuer une transaction fiduciaire quand je vois du coin de l’oreille un stand tout plein du Mensuel de Rennes (je ne sais pas si le stand était plein, ni même si les revues concernées étaient effectivement posées sur un stand… Mais vous savez comment sont les souvenirs… ! Quand ma mère raconte son voyage au Kilimandjaro, elle reste persuadée d’y avoir rencontré Pascal Danel habillé en Tarzan.).
Me voici donc en possession de « le mensuel de Rennes- Magazine indépendant- N° 06- Septembre 2009 – 3,90 boules »… Alors que le cheval de fer s’ébranle, je m’y plonge de suite, reniflant les odeurs d’imprimerie tout en découvrant rubriques et articles… L’état de concentration nécessaire à la lecture vient rapidement dans un train et je lis goulûment jusqu’à être stoppé net… L’article est intitulé sobrement « faits divers et variés », la journaliste y dépeint une soirée passée en compagnie de la Police Nationale. Entre patrouilles et interventions, description du boulot peu reluisant des fonctionnaires… Et puis d’un coup, sans prévenir, l’article marque une dérive étrange : la journaliste narre l’interpellation d’un Kosovar, jusqu’à retranscrire ses paroles dans un style direct « Oui, Missieur le Capitaine. Excusez-moi, Missieur le Capitaine… » Cette affaire là ne sent pas vraiment la faute de frappe, dites moi… On sent une volonté plus ou moins exprimée d’en dire plus, grossir le trait, voire de singulariser le discours du quidam concerné, accentuer encore plus son appartenance étrangère. Le seul intérêt de transcription, ou de transposition, d’une langue orale à l’écrit, c’est de faire ressentir une culture intime, un sentiment d’appartenance à une culture ou à un peuple… mais c’est avant tout une forme d’expression et de langage littéraire. Et là, on n'y est pas!
Qu’on fasse un procès à Hergé, j’suis pas partant… Tintin au Congo a déjà été expurgé une fois, ce qu’il en reste est quand même révélateur de la vision étriquée de l’époque et est définitivement témoin à charge… on va pas sa mettre à dégraisser « Voyage au bout de la nuit » ni « Mogambo », tout autant témoins d’une époque où la vision colonialiste était symbole de l’ignorance crasse… Mais là, qu’est ce que c’est que ce bordel ? C’est de l’humour, peut être ? Ou alors, la rédactrice veut faire du vintage colonial, genre… accentuer la dérision de l’homme ivre… Qu’importe ! Ce n’est pas très classe ni de bon goût, et ce genre de banalisation (ou de bananisation) de la stigmatisation de l’étranger n’a rien à foutre là…
* Léopold Sedar Senghor