La télémission ou l'opium des cons

Arrested Development: on choisit pas sa famille.

Parmi toutes les séries US des cinq dernières années, le téléspectateur commun ne triera guère et marquera avec empressement les productions HBO comme  la fine fleur intelligente du divertissement privilégié… Ignorant par la même de vrais bijoux acides mais non conventionnés, le chantre du bon goût enterrera sans scrupules des œuvres parfaites mais sans doute trop azimutées. Ignorée des critiques comme des téléspectateurs, diffusée un temps dans une VF désastreuse sur une chaîne « adolescente » de la TNT, Arrested Development n'a pas trouvé son public en France. À vrai dire, elle ne l'a jamais trouvé aux USA non plus… Histoire d'un malentendu.

Détestation des adolescents mise à part, il n'y a rien d'étonnant à ce que l'humour de cette série passât largement au-dessus de la tête du puceau acnéique moyen, individu exclusivement préoccupé par le dernier clip pornoïde dans lequel apercevoir un bout de nibard ou une fesse furtive de chanteuse inepte. De l'autre côté de l'Atlantique, la confusion est d'un tout autre genre. La série passait sur Fox à l'époque où la chaîne de Rupert Murdoch bourrinait le plus intensément sa propagande néo conservatrice. Pour les sympathisants démocrates, la Fox, c'était la connerie exaltée de Bill O'Reilly et les contrevérités manifestes de « Faux News »: il leur était inenvisageable de s'intéresser aux autres programmes diffusés sur le réseau abhorré. Résultat, la production a jeté l'éponge à la fin de la troisième saison.

 

À première vue, effectivement, Arrested Development paraît pencher franchement à droite. Les Bluth sont une famille californienne aisée qui n'en a rien à cirer des dures réalités des classes moins fortunées. Chez les Bluth, les pauvres, c’est d'abord un sujet de plaisanterie. Les employés de la Bluth company sont présentés comme des moutons de Panurge qu'on impressionne en leur jetant des piécettes sous le nez. En ce qui concerne les minorités, elles sont réduites dans la série à quelques clichés à la peau dure: la mexicaine est femme de ménage, le noir est un délinquant pyromane et l'asiatique ourdit des fourberies sous ses dehors innocents… Quant aux engagés de gauche, ils sont plus grotesques les uns que les autres. Le défenseur des arbres est un érotomane mal dégrossi. Les militants homosexuels sont montrés comme des fofolles exubérantes qui ne pensent qu'à se trémousser dans des habits de carnaval. Les manifestants anti-guerre se font berner comme des enfants par les bidasses du coin. Par ailleurs, les handicapés sont des manipulateurs (-trices) et leur prétendue infirmité n'est que stratagème (cf. les personnages de l'avocate Maggie Lizer et de Surely Fünke dans la saison 2).  

 

En réalité, Arrested Development se moque de tout et de tout le monde, surtout de ces nouveaux riches sans scrupules (le père Bluth filmait autrefois les bagarres de ses enfants pour les commercialiser en VHS) et superficiels dont elle fait la caricature. Ses auteurs se contrefoutent également du politiquement correct. Mieux, ils jouent avec (Lucille Bluth signe sans hésiter lorsque Michael Moore surgit, empoignant un formulaire, pour lui demander si elle accepterait d'envoyer son fils Buster en Irak).

 

L'unique préoccupation de la famille Bluth, c'est de maintenir son niveau de vie. Lorsque George Senior (Jeffrey Tambor, au taquet) est arrêté par la brigade financière le jour de son départ en retraite, le confort du clan est menacé. Quelqu'un doit prendre en main les affaires de la famille. Mais qui peut succéder au pater familias, entrepreneur infernal parti d'un stand à bananes au bord de la plage pour créer un appareil à pop-corn dévastateur, pour monter finalement une affaire louche mais prospère de maisons témoin? L'épouse, Lucille, est une alcoolique mondaine sarcastique (voire sadique) et incurablement oisive (grinçante Jessica Walter). L'aîné, George Oscar Bluth alias GOB (prononcer « Job ») est un playboy à la manque qui exerce avec une fougue spectaculaire une activité pathétique de magicien super-foireux (phénoménal Will Arnett). Branleur devant l’éternel, il ne se déplace qu’en gyropode Segway. Lindsay passe le plus clair de son temps à faire du shopping et picorer des petits fours dans des charités sans lendemain (émoustillante Portia de Rossi). Son mari Tobias Fünke, spécimen fulgurant d'homosexuel refoulé complètement à la masse, a décidé de renoncer à la médecine, qu'il pratiquait avec une incompétence incomparable, pour se jeter dans une carrière d'acteur promise à de grands moments de solitude (génial David Cross). Le petit dernier, Buster, n'a jamais coupé le cordon, et s'il a étudié toutes sortes de disciplines pointues à l'université, il est sujet à des crises d'angoisse paralysantes dès lors qu'il se retrouve confronté à une situation dans laquelle ses études ne lui sont d'aucune application- soit n'importe quelle situation de la vie quotidienne (débile Tony Hale).  

 

Le seul membre de la famille intouché par ce crétinisme atavique est le cadet Michael (solide Jason Bateman, dans le rôle qui a ressuscité sa carrière). Travailleur, méticuleux, intègre, sa droiture naturelle est constamment mise à l’épreuve par les conneries sans nom de son entourage. Suite au décès de sa femme, Michael élève seul son fils George Michael, adolescent terriblement emprunté et gaffeur (l’incroyable Michael Cera, dans le rôle qui a lancé sa carrière). Toute la difficulté pour le papa consiste à lui faire comprendre de ne surtout pas suivre l’exemple de ses oncles et de sa tante, sans pour autant remettre en cause le précepte selon lequel « la famille vient en premier ». Personnage apollinien esseulé dans le microcosme dionysiaque de sa famille et de son milieu social, Michael Bluth incarne le point focal du spectateur dans la déliquescence ambiante, à l’instar d’un Jim Halpert dans la version américaine de The Office, autre série comique enthousiasmante ayant opté pour une approche documentaire. Mais à la différence de The Office, plus théâtrale (pour l’essentiel, les épisodes respectent une unité de temps – la journée de travail- et de lieu –le bureau), Arrested Development a recours à une voix off qui est celle de Ron Howard, le célèbre réalisateur de films gnangnan, qui intervient pour contredire les personnages (preuves à l’appui), remettre les évènements en perspective, ou accélérer le rythme narratif. Le procédé peut paraître lourd sur le papier, mais il fonctionne parfaitement ici. D’ailleurs, à vingt minutes l’épisode, le tempo est tellement soutenu que le téléspectateur doit maintenir une vigilance constante pour ne pas laisser échapper le moindre détail.

 

Eu égard à Sigmund, on ne saurait terminer une chronique sur Arrested Development sans évoquer la sexualité volcanique de ses personnages, qui est par ailleurs un incontournable ressort comique de la série. En la famille Bluth, on tient un catalogue de sexualités inassumées (parce que tabou dans le milieu social évoqué) donc explosives. Le cas le plus évident est celui de Tobias, le beau-frère. Le personnage refoule tellement son homosexualité qu’il débite des lapsus au kilomètre (les exemples se dénombrent en centaines). En outre, Tobias a le don incroyable de se fourrer (sans mauvais jeu de mots) dans des situations plus que tendancieuses sans jamais se rendre compte de rien. Quant au personnage de Buster, il se complait dans une relation d’amour-haine des plus ambiguës avec sa mère. Lorsqu’il parvient censément à s’extraire du giron maternel, c’est pour se jeter à corps perdu dans une relation avec une amie de sa mère, qui, forcément, a le même âge et porte le même nom ! Vous avez dit Oedipe? Par la suite, passé une longue phase de gérontophilie, sa mère surprend Buster au lit avec… un aspirateur ! Gob, lui, baiserait n'importe quoi pourvu que ça puisse atténuer son complexe d'infériorité vis-à-vis de son frère Michael ou satisfaire son désir de reconnaissance vis-à-vis de son père. Il le prouve en se tapant des laiderons pas possibles au lieu de se consacrer à sa relation avec une délicieuse actrice latino de soap opera… La matriarche n'est pas en reste puisqu'elle profite de l'incarcération de son mari pour coucher avec le frère de celui-ci (le même avec des cheveux). Le jeune George Michael souscrit également aux amours incestueuses car il éprouve une attirance très forte à l'endroit de… sa cousine Maeby. Et comment interpréter la réplique de George Senior après sa première nuit en prison, quand il déclare à Michael, en faisant un clin d'oeil à un co-détenu, qu'il passe de bons moments derrière les barreaux ? Et je ne vous parle même pas de l'avocat de la famille… 

 

Si cet humble papier devait titiller votre curiosité, sachez que vous ne pouvez pas vous tromper en chopant les deux premières saisons. La troisième et dernière saison marque nettement le pas. Mais par pitié ne regardez pas la série en VF car c'est un véritable sabotage. Depuis l'arrêt de la série, les rumeurs vont bon train concernant une adaptation au cinéma, ce que les différents acteurs ayant participé à l'aventure ne daignent ni démentir ni confirmer. Ce qui est sûr, c'est que les turpitudes de la famille Bluth ont lancé la carrière du canadien Michael Cera (apparu ensuite dans Juno et Supermalades) et relancé celle de son compatriote Will Arnett (Blades Of Glory, The Brothers Solomon). Avec de tels talents canadiens, il était naturel que la série marche au moins au pays de la feuille d'érable. C'est le cas! Comme quoi tout  ne se perd pas…  

 

 

Nichachien Reilly

2 Commentaires pour “Arrested Development: on choisit pas sa famille.”

  1. armelle dit :

    je confirme, j’ai vu les 3 series en VO et c’est genial.
    enfin une serie americaine ou on rit a gorge deployee a chaque episode. c’est un humour presque anglais, tres grincant.
    la troisieme serie est un vrai feu d’artifice de situations completement folles, mais chacun agit comme si c’etait tout a fait normal.

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