Un peu excentré sur l’avenue des Pins Est, le « Pick Up » est un de ces endroits où l’on n’atterrit pas par hasard. Vous y apercevrez rarement un quidam qui cherche le dernier Cow boy fringant ou le triple album de Céline à Végas… Pas de supports numériques dans cette boutique, si ce n’est quelques productions garage locales… Par contre, du vinyle, des tonnes de vinyles comme s’il en pleuvait.
L’hiver, l’avenue des Pins est froide, battue par les vents glacés, elle dissuade de par son aspect austère le touriste en goguette… Ce dernier se réfugiant plus aisément dans les couloirs souterrains menant au complexe Desjardins pour acquérir quelques sombres merdes fabriquées en chine ou un ours habillé avec l’uniforme de la G.R.C. Le montréalais en quête de sons analogiques ne s’y aventurera pas non plus forcément, lui préférant la portion de Saint Denis, un peu plus achalandée en échoppes, et donc plus apte au magasinage hivernale. C’est donc que le visiteur qui franchit la porte du Pick Up est forcément investi d’une mission sacrée ! Il y rentre comme dans une église ou tout autre lieu saint auréolé d’un esprit sacré, humant l’air avec délectation, là où l’odeur de grenier remplace certaines effluves capiteuses et ecclésiastiques. Passé cette entrée en matière olfactive, il est toujours plaisant de voir le léger égarement du quêteur, bouleversé par la profusion de matières sonores… il faut le temps au regard.
Le regard, justement, qui se pose enfin sur le disquaire, le guide, l’officiant au culte… Un Sergent Poivre du Québec, avare de paroles mais détenteur de secrets qu’il partage volontiers, pour qui sait communier. Pendant que les hauts parleurs déversent les mélodies du strawberry alarm clock, le cerbère jette un œil concentré sur le dernier Ugly things avant de renseigner un ado anglo sur la scène rock garage montréalaise de 1967 : « if you like qouébec sixties scene, you should listen The Sinners… they sang in french and occasionaly in english but that’s not their fault… » Le mot est jubilatoire mais marque un clivage linguistique certain (quebecisms, comme disent les rosbifs !)… L’ado anglo ouvre de grands yeux interrogateurs, bégaye une réponse à peine audible sur fond de Count five puis se ressaisit en se disant que le canuk est vraiment un être étrange.
La première fois que j’ai vu cet apôtre de la bonne parole, son magasin était encore sur Mont Royal Est… L’homme était déjà plongé dans un fanzine obscur pendant que deux clients réguliers discouraient longuement et avec ferveur sur un live pirate des Baroques, guettant son approbation à chaque nouvelle phrase déclamée avec emphase… il réussit à clore ce bras de fer stérile en faisant rugir de son pick up les premiers accords tendus de Pushin’ too hard : quel talent ! Les deux protagonistes marquèrent un temps d’arrêt avant de dodeliner de la tête, puis de se lancer dans un nouveau duel oral sur le « Raw and alive»… les deux enragés me firent de suite penser à High Fidelity. Forcément. Je pense que ce genre de scène arrive tout le temps, partout, sous toutes les latitudes… les personnages de Hornby ne sont pas des êtres singuliers, ce sont des stéréotypes, des clones romanesques.
Le patron du Pick Up se nomme Denis Lalonde. Activiste de longue date dans la scène musicale montréalaise, Denis Lalonde a autrefois été programmateur aux Foufounes électriques… Fin 80, il ouvre le « Primitive » avec un comparse. L’échoppe à disque est en même temps un label qui signe des artistes montréalais comme les Cryptics… Il vogue plus tard de ses propres ailes et ouvre le fameux Pick Up… Sa passion immodérée pour le vinyle va de pair avec un brin de « collectionnite », surtout pour les groupes sixties québécois. Il a déjà compilé régulièrement de ces groupes obscurs, notamment dans « people of tyme – canadian garage beat 66 » ou dans Ultra chicks series, une série dédiée à la gente féminine chantante (déjà 6 volumes !).
Dans son antre, vous trouverez donc forcément du garage québécois ou canadiens mais aussi de la Soul, jazz, du psyché pas courant, du rythm and blues rosbif, du franco, de la country ou de la B.O… Tout ce que le maniaque du vinyle convoite, en quelque sorte, et à vraiment pas cher.
Et n’hésitez pas à lui demander un renseignement ou un conseil, Denis est le « right man at the right place ».
Le Pick Up, 169 Avenue des Pins Est. Montréal.