Trois jours que je ne croûte pas, tracassé par le dragon pixellisé du chapitre 9. Comment ouvrir la porte menant au dongeon inférieur? Il y a des mois entiers, sans exagérer, où la vraie vie fait chier parce qu'elle ne laisse que peu de temps pour explorer ce dédale maléfique où il y a fort à suspecter que sont planqués des objets magiques qui accroîtront la puissance de mon groupe d'aventuriers virtuels nettement plus amusants que les gens dehors.
Fichtre! L’aficionado des sixties aurait-il chopé la dragonite chez un fan de l'Incredible String Band? Aurait-il entendu l'appel du dongeon dans un arpège de John Renbourn? Nicolas Anelka est-il le nom d'une maladie vénérienne? Lance Armstrong est-il Ben Laden ou sagittaire?Autant de questions auxquelles m'empêche de répondre le fait qu'écrire ces lignes me retient de fricasser cet enfoiré de Draconis. Le jeu, ou plutôt l'addiction chère Jane? Baldur's Gate, l'intégrale. Du vintage: le dernier épisode date de 9 ans, ce qui, en équivalence de durée de vie, correspond à 100 ans chez le loulou de Poméranie.
La trame du jeu anticipe la France sous l'UMP. C'est la crise sur la côte des Epées. Une pénurie de fer touche gravement la région, affectant durement tous les secteurs de l'économie. L'indice de consommation des ménages est en chute libre depuis trois trimestres. En réalité, cette crise a été fomentée par une guilde commerciale appelée le « Trône de Fer »- en gros, le Fouquet's en cotte de mailles- et dirigée par un mégalo peu enclin à lire « La Princesse de Clèves » non plus. Pour mener ses spéculations à bien, ce Sarevok (presque un anagramme de Sarkozy) sous-traite avec tout un tas de sous-fifres sournois prompts à vous ratiboiser avec des maléfices salauds et des coups d'estoc peu amènes. Sans compter le tout-venant obligé des jeux de rôle, les méchants de base, le bestiaire de la violence gratuite: hobgobelins, trolls, araignées géantes, Grenoblois…
Non seulement les 4 épisodes sont longs et corsés, parsemés de révélations et de rebondissements, mais de surcroît vous avez le choix de les jouer en béni oui-oui justicier, en vaurien manipulateur ou en tronçonneuse Husqvarna, sachant que votre façon d'incarner le personnage déterminera les rencontres que vous ferez et les quêtes qui vous seront confiées. En effet, outre les étapes obligées du scénario, la série abonde en intrigues secondaires. La réussite d'un jeu de rôles tient dans une large mesure à l'ambiance qu'il sait ou pas instiller. De ce point de vue, BG est une référence. Chacun des personnages que vous pouvez recruter pour constituer votre équipe (5 compagnons sur une trentaine de possibles) possède sa « personnalité » propre et interagit avec les autres en fonction de son alignement (bon, neutre ou mauvais, à des degrés différents). Ainsi, des personnages d'alignements opposés pourront-ils se foutre sur la gueule inopinément. A l'inverse, votre avatar peut flirter avec un ou plusieurs partenaires du même alignement. Attention en ville: foirez une tentative de vol à la tire et vous vous retrouverez aussitôt cerné par la milice.
Démembrez du citoyen en pleine rue et la population entière se retournera contre vous comme des romanos contre une gendarmerie. Au fil des chapitres, conformément aux sacro-saintes règles du jeu de rôles, votre groupe acquiert toujours plus de bouteille et d'armes magiques tandis qu'il se coltine des contradicteurs de plus en plus impies, jusqu'à une extension finale d'anthologie où le frêle gamin que vous incarniez au début peut carrément…chut!
Oyez oyez donc, vivisecteurs de batraciens et chers bretteurs dominicaux du Mont-Royal, fins connaisseurs de la fantasy racée, je vous le dis: il y en a pour des centaines d'heures de jeu dans ce « Baldur's Gate, l'intégrale » qui se peut trouver aujourd'hui pour le prix de cinq tickets de métro, et pour aller où je vous prie? Faire les courses? Chez la coiffeuse? Non mais franchement, vous n'avez rien de mieux à faire?
Jo L'Trembleur