Décidément, le vinyle est en pleine résurrection… ou du moins en pleine résurgence! Précision indispensable à moins de penser que le vinyle soit mort un jour, déposé froid dans sa bière de cire, momifié dans son insert papier et revêtu de son plus beau gatefold.
Ressuscité le vinyle? Pour cela eût-il fallu qu’il soit bien mort… et enterré. Il nous resterait alors un bout de plastique noir avec apparence zombie, sans âme et sans chaleur. La légende pourrait alors berner les plus crédules, mystifier les néo hipsters. Ecoutez ceci… Elvis, un soir où la nuit était d’encre, a déterré le fémur de Jesse Garon pour fabriquer une canne à Ray Charles, réveillant ainsi tous les dieux du rythm and blues. Les divinités, courroucées, de s’exclamer: « Mais qu’as tu donc fait, jeune graisseux? Ne peux tu donc laisser ces vieux sons dormir en paix? » « Ben non, les anciens, qu’est ce que c’est que ce bordel? Je viens d’écouter mon live from aloha en cd, ça sonne comme de la merde… I’m all shook up. Et encore, j’ai vu le père Orbison l’autre jour, il est furax rapport à sa période Monument exportée en mp3… ça va chier! »
La mythologie serait repensée, actualisée, on en ferait une nouvelle religion avec adeptes The Kooples, un film voire une télé série où Otis Redding, défenseur de la cire, foutrait sur la gueule de Justin Bieber du clan des sons compressés…
Mais c’était compter sans la résistance animale de ce cercle parfait, adoubé depuis l’aube des années 50, chéri par des milliers de fans intègres, caché et protégé dans des caves ou bibliothèques, pieuses cathédrales de la mémoire collective du document sonore.
Non, le vinyle n’est jamais mort, n’a jamais été enterré. Il s’est assoupi quelques temps, comme un vieux guerrier fatigué de tant de campagnes. Propos magnifiant une technologie révolue? Aigreur du quarantenaire mis en échec par la manipulation de son lecteur mp3? Que nenni, chers lecteurs des Internets, ce titan passablement engourdi par quelques velléités numériques se voit tiré de sa léthargie réparatrice par des adeptes de plus en plus nombreux, de plus en plus fougueux, faisant s’agenouiller la technologie du cd afin de mieux lui couper la tête.
Vinylmania, when life runs at 33 revolutions per minute.
Documentaire réalisé par Paolo Campana, collectionneur et dj, grand maniaque du vinyle devant l’éternel, Vinylmania est une ode au Saint microsillon sous toutes ses formes… Qu’il soit 33T, 45T ou 78T, le disque vinyle regagne ici ses lettres de noblesse. La caméra se fixe sur une star à flancs boisés, une superbe platine Pioneer de la première moitié des années 70… la vieille dame commence sa révolution et quelques notes de musique s’égrènent avec un charisme surnaturel. La voix off décrit, romanise, raconte une histoire de vie rythmée par le chaud sillon d’une addiction familiale, d’un héritage génétique quant à la mélomanie. Cet objet de basse consommation que les qualités intrinsèques transforment en meilleur ami des esgourdes, panacée du collectionneur et de l’amateur de bons sons.
Campana plante le décor de façon révérencieuse, inoculant sans objectivité sa grande passion pour le microsillon. Et parce que la vinyl mania, c’est aussi une traque, il nous emmène dans de hauts lieux sanctifiés: New York, Londres, San Francisco… Les villes « à vinyles » se succèdent, avec portraits ad hoc. Collectionneurs, disquaires, artistes, DJs, spécialistes de la galette noire s’expriment avec emphase et science, avec toujours un air de doux dingue, avec toujours ce même éclat dans les yeux. « De grands enfants« , se dit on. Mais quid de ces adolescents amourachés du vieux support? La source vinylique était pourtant bien tarie à leur naissance… Ils n’y sont pas venus par nostalgie, pas de réminiscence exacerbée. Alors quoi? Le son, l’objet, la pochette, la quête du Graal, l’objet de la hype…?
Peut être un peu tout cela à la fois… Mais qu’importe la hype si elle est passagère, si elle sait faire apprécier la qualité d’enregistrement et les belles impressions, si elle sait faire respecter l’objet, l’enracinant dans le document plutôt que dans l’éphémère numérique.
Documentaire assez unique en son genre et propos, Vinylmania dévoile tout un pan de civilisation jusqu’alors inconnue aux néophytes… Les adeptes de longue date y gagneront un eczéma nerveux tant le documentaire regorge de pochettes avenantes et de pépites rares en diable.