De l'insolence du rockeur originel à l'ersatz emmailloté chez the kooples, il y a le porte carte de papa/maman… et un pot de graisse à moteur. Joe l'trembleur m'en faisait encore la remarque l'autre jour, en me rapportant son impression quant au concert des Black Lips…
"Je confirme, c'était pas transcendant. Des petits branleurs, en effet. Et le public! Le rockeur H&M et la rockeuse Cacharel. Des gens qui ont passé plus de temps dans leur vie à se mettre du gel dans les cheveux qu'à écouter des disques; ça faisait penser très fort à ton article Rock around the folks." De là, j'imaginais très bien Joe accoudé au bar, levant des yeux ronds sur ces attitudes et ces poses inspirées directement par certaines régies publicitaires… vous savez bien, celles où de jeunes gens bien propres sur eux miment la posture du guitariste en pleine descente d'accord, voire même la position du joueur de saxophone alto… ouh là! Le saxophone alto dans le rock, ça nécessite une analyse fine, des bêta bloquants et être bloqué douze ans dans une grotte avec Clarence Clemons pour pouvoir encaisser quelques notes sans poussée d'eczéma… Et encore. On fait les malins parce qu'on sait bien que Clemons est passé de vie à trépas.
Joe me confiait alors avoir été décontenancé, même distrait, par cette cour révérencieuse venue se prosterner devant un statut et non devant des artistes, se reluquant des pieds à la tête dès que lumière était donnée dans la salle, donnant presque envie au spectateur affranchi et goguenard de se foutre à poil par un soucis de provocation adolescente: "je t'ai envoyé des dizaines de tweets… de façon mentale, hein… sortir un téléphone cellulaire de plus dans la salle aurait fait passer les radiations de Fukushima pour un pet de nourrisson." Que le lecteur se rassure! Pas plus Joe que moi ne "twittons"…peut être un jour, en 2064, rattrapé par notre destin: "Me suis fait chopper par cette salope de faucheuse… on dira ce qu'on veut, elle est pugnace. En tout cas, me suis bien marré…"
Donc Joe boit des bières, reluquant du coin de l'oeil les néo garageux des Black Lips, priant pour que le groupe fasse honneur à sa réputation sulfureuse, genre en pissant sur les premiers rangs, auréolant d'urine acide le faux mods nippé chez Tim Bargeot… Que dalle! Le poupon hipster s'en sort bien. Le gueulant des Black Lips ne lui jetant qu'un oeil torve… certainement pas assez de feu ce soir dans le public pour daigner pisser dessus. Les Black Lips s'en tiennent, ce soir, au minimum syndical.
Joe s'en est allé déçu, pas vraiment rassasié, quittant la salle de concert avant la fin, laissant les androïdes endimanchés se trémousser sans passion… Au dessus d'eux flotte une banderole "vu à la télé" ou, pour les plus parisiens d'entre eux, "vu chez Denisot". Joe est rentré chez lui, un peu aigri, décapsulant une bière sur son coin de table avant de coller un kinks sur son pick up. L'aiguille s'est à peine posée sur le sillon que déjà un ricanement lui monte le long de la gorge.Joe glousse. Le houblon et l'accent rosbeef de Muswell Hill peuvent être une source de vitamines ultra dopantes, une potion magique pour irréductibles, l'Annapurna des irrévérencieux. La mélodie de Sunny afternoon lui donne goût à l'introspection… Il se remémore comment il se faisait chambrer par ses potes de lycée alors qu'il écoutait Jefferson Airplane en lieu et place de la techno variété hautement plébiscitée, comment il se sentait ringard en découvrant Led Zeppelin à travers une compilation longuement convoitée: "j'ai peut être l'air con… mais ce son, qu'est ce c'est bon, bordel!" Même en fac, au moment fatidique du mémoire, il se souvient encore de l'oeil soupçonneux de son prof quand il avait émis l'idée de baser ses recherches sur le psychédélisme et son influence sur la musique américaine. C'est tout juste si le tuteur ne lui avait pas exigé de faire un test pipi… Maintenant, le fonctionnaire se pâmerait de plaisir, lui proposant derechef une chaire rien que pour enseigner l'art de l'open tuning…
A suivre
Vu dans le R&F de ce mois-ci: quatre pages de pub d’affilée pour une montre, un smartphone, Gerogio Armani et The Kooples. Vous avez-dit bling-bling?