Discographie

The L.H.I. years

A l'occasion du record store day (disquaire day en français de France), le label dépoussiéreur Light in the attic sort un double album vinyle de Lee Hazlewood, intitulé "the LHI years". Bourré de prises alternatives, de morceaux rares voire complètement inédits, ce double vinyle ressuscite un peu le moustachu disparu.

Plus culte que le bénédicité, plus américain que le bourbon Four Roses, plus moustachu qu'une crapule de cinéma, Ladies and gentlemen, Lee Hazlewood! Compositeur inspiré et arrangeur exquis, Pygmalion de la fille de Le Frank Sinatra, Hazlewood est un de ces gaillards dont les disques font instantanément passer tous les autres pour des petits garçons agités.

La carrière musicale de Lee Hazlewood commence à son retour de la guerre de Corée. Établi comme DJ d'une station de radio de Phoenix, Hazlewood écrit pour le chanteur Sanford Clark une chanson intitulée « The Fool » qui se classe en 7è position dans les charts en 1956. Ce premier succès le conduit à créer le label « Jamie » avec Dick Clark, le présentateur de l'émission « American Bandstand ». Lequel, on s'en doute, ne manquera jamais une occasion de programmer les poulains du label dans son émission. Commence alors une collaboration fructueuse avec le guitariste Duane Eddy, les deux hommes inventant conjointement le « twang » (style de guitare instrumental gorgé de réverb') avec le titre « Rebel Rouser » en 1958. Link Wray, il est wray, pardon, vrai, faisait beaucoup plus crade et sauvage en 1958, mais ses enregistrements de l'époque, jugés « néfastes pour la jeunesse » (bien que purement instrumentaux!) ne verront le jour qu'en 2006 (cf. l'album « White Lightning, Lost Cadence Sessions '58 » chez Sundazed). En 1964, tandis qu'« American Bandstand » chancelle, Hazlewood met sur pied un nouveau label: LHI, pour « Lee Hazlewood Industries ». Il est bientôt contacté par Reprise, la maison de disques de Sinatra père. Hazlewood compose quelques tubes pour les artistes de Reprise, dont « Houston » pour Dean Martin. Il existe différentes versions quant à l'origine de son partenariat avec Nancy Sinatra. Selon l'une, c'est Hazlewood qui aurait approché Jimmy Bowen de Reprise pour lui faire part de son désir de composer pour Nancy. « Je veux l'enregistrer. Je vous garantis un hit d'entrée. » Selon l'autre, c'est le papa, lassé des bides de sa fille, qui aurait demandé à Hazlewood de sauver la carrière de celle-ci. Jusqu'alors, Nancy Sinatra ne représentait que des bluettes médiocres. Hazlewood en fera une pin-up à l'innocence perverse.
« Comment faut-il que je la chante? » demande Nancy Sinatra au cours d'une de leurs premières sessions. « Comme une fille de seize ans qui sortait avec un homme de quarante ans, mais c'est fini maintenant », répond Hazlewood. « Nancy, tu as été mariée. Personne ne croit plus à ces conneries de chansons innocentes ». Comme promis, Nancy Sinatra obtient un tube gigantesque avec « Boots », propulsé numéro 1 des charts. Le duo enregistre plusieurs albums en quelques années, parmi lesquels « Boots », « Country, My Way », « Nancy In London », « Nancy & Lee », etc… Parallèlement, Lee Hazlewood publie des albums solo. Ce qui nous amène à notre sujet. En 1970, Hazlewood effectue un séjour en Suède. Instantanément, il tombe amoureux de ce pays. Il y enregistre une émission de télévision intitulée « Cowboy In Sweden », dont sera tirée un de ses albums les plus côtés, aujourd'hui aussi introuvable que des armes de destruction massive en Irak. Hazlewood y présente une écriture digne de comparaison avec les plus grands. Les paroles de « Prayed Them Bars Away » rivalisent aisément avec la chanson de taulard référence de Johnny Cash (« Folsom Prison Blues »). La voix de baryton velouteuse d'Hazlewood évoque un outlaw trop ironique et blasé pour espérer ni désespérer sortir de prison. « Leather and Lace » expose les principes de la haute couture Hazlewoodienne: rugosité tendre, mélancolie enlevée, solennité subtile, duo cuir et dentelle (Hazlewood et Nina Lizell). « The Night Before » est une leçon de composition magistrale, un « film pour les oreilles », selon la formule de Frank Zappa. Avec une économie de mots remarquable, Hazlewood traduit un remords gigantesque. Un homme se réveille avec la gueule de bois. Des bouteilles de whisky vides et des disques sont éparpillés sur le sol. Il entend une femme pleurer de la chambre à-côté.« Then I remember the night before ». Mais que s'est-il donc passé la nuit précédente? Il la revoit danser, « so young with laughter in her face ». Les bouteilles vides deviennent des jurés dans le procès de sa conscience brouillée. « Then I hear footsteps as she's leaving. And I remember the night before ». Rien à faire, l'auditeur ne saura pas ce qui est arrivé. Dans cette douloureuse résipiscence, c'est toute la psyché musicale de Lee Hazlewood qui bouillonne: nappes de cordes Hollywoodiennes, trompettes bouchées de funérailles militaires, glissandos de guitare élastique, contrebasse de cabaret, orgue de chapiteau hanté. Du très grand art!
« Hey Cowboy » pourrait être le moment cocasse d'une comédie musicale sur Broadway. C'est un régal de cordes et de trompettes enjouées. Avec une candeur moqueuse, Nina Lizell demande à un Hazlewood las: « What are you doin' in the land of the midnight sun? You better run, you're just a toy cow-boy » « No Train To Stockholm » rappelle qu'aucun producteur n'a jamais fait sonner une basse comme Hazlewood. Le son de basse des productions Hazlewood, c'est un son sec, claquant, qu'on croirait avoir été enregistré dans un silo à grains (une autre légende dont on ne sait pas trop si elle est fondée ou non). La guitare en est réduite à arpéger au second-plan. « For A Day Like Today » serait le thème pénultième de cette comédie musicale rêvée plus haut. Dans un monde de goût, dix mille spectateurs, bouleversés par tant de lyrisme, l'applaudiraient chaque soir depuis 1970. L'aboutissement de ce spectacle fantasmatique serait « Vem Kan Segla », chanson de boy-scout bien connue, chantée en suédois par Lizell et traduite en anglais de rogomme par Hazlewood.
Hazlewood est mort le 4 août 2007 d'un cancer des reins. « I heard the preacher say: "God must have a sens of humour", cause when they put him in his grave, it didn't even rain » (Cold hard world).

Requiescat in pace.

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