Le Texas existe, Rennet l'a rencontré … De notre envoyé spécial à Grand Prairie, Jo L'Trembleur.
« Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous ».
Le Texas, c’est le pire de l’Amérique. Tout grossit et pollue à vue d’œil. Frigos, usines, voitures, gens. Le Texas est constitué d’autoroutes extra-larges bordées d’un gâchis sidérant d’électricité dédié à la promotion d’animatrices liftées, de barbecues géants, de spectacles d’armes à feu et du messie, évidemment. Bonne nouvelle, nous allons tous être sauvés. Enfin, c’est comme pour toutes choses, il y a une contrepartie, il faut d’abord accepter JC dans son cœur, sinon, foin de nuages et de blondinets asexués volants, on vous enverra aux tridents et aux cracheurs de feu cornus. Pour les évangélistes américains, l’idée de religion est très proche de la formidable idée-force de l’administration Bush : « si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous » – comme au bon vieux temps des récrés. Mais revenons-en à l’enfer et autres concepts comminatoires. Toutes ces invectives de rôtissage long et douloureux aux griffes de je-ne sais-trop quelles bestioles rouges ont de quoi agacer à la longue. Comme si on allait s’arrêter prier dans une église qui ressemble à un fast-food ! Des « frites de la liberté » avec votre hostie ? D’ailleurs le sermon du jour est inscrit devant l’église sur le même type de panneaux qu’utilisent les enseignes de malbouffe pour leurs promotions.
Un soir que j’attendais l’autobus à Fort Worth avec toute la misère du coin, une femme échevelée en robe bleue m’adjura de réciter une prière à genoux pour le salut de mon âme. Un européen, pensez ! Ils ne croient à rien là-bas, ça n’est qu’orgies, sabbats et bacchanales !
Elle me jetait le déluge au visage, et les fléaux d’Egypte, et le buisson ardent. Pour elle, le mythe de l’arche de Noé était un fait historique établi. Tandis que le reste de l’humanité égorgeait, forniquait et mangeait des asticots, un vieux barbu anticipant la colère de Dieu avait bâti une arche pour accueillir un mâle et une femelle de chaque espèce, et toute cette belle ménagerie avait repeuplé la terre après le déluge. Elle ne comprenait pas le sens du mot « mythe » ou « parabole ». La Bible était son manuel d’histoire. Quand je m’assis enfin dans le bus après une demi-heure d’attente, je me sentais vaguement nauséeux. Bientôt la fin du monde ! Heureusement, j’avais d’autres emmerdes à l’époque, de sorte que le jugement divin n’avait pas l’apanage de mes préoccupations.
Plus agressif encore que le messianisme texan, la radio au Texas. Du néo-métal trépané (en règle générale, tout ce qui commence par néo- est une mauvaise idée) ou de la country de bellâtre, en plus des mêmes poufs que partout. Personne n’a entendu parler de Jeffrey Lee Pierce ni de Townes Van Zandt. Roy Orbison ? Buddy Holly ? Qui ça ? Le carton radiophonique de l’été que je passai au Texas s’appelait « Beer For My Horses », et c’était une apologie de la justice expéditive et du tords-boyaux. Du vrai Chuck Norris. C’est que le Texas se prend encore pour l’ouest sauvage, celui des cow-boys de Sergio Leone, s’entend, pas l’ouest historique des péquenots de gardiens de troupeaux. Par trois fois, on m’a pointé du doigt un pont ou une tour, et solennellement: « c’est d’ici qu’un taré, tel jour, s’est mis à tirer sur les passants ». C’était comme si on me mettait dans le secret d’une tradition méconnue mais fort honorée. Faut-il parler de l’Alamo ? Les Texans sont tellement fiers du carnage légendaire que la mission est devenue l’emblème patriotique de l’état, et ce en dépit du fait que cet événement tient lieu de défaite historique devant les mexicains. Bah, du moment qu’on fusillait des métèques, on a le droit de se sentir fier, quoi ! Quoi qu’il en soit des représentations patriotiques, le Texas fut bel et bien envahi par les mexicains à la suite de la fameuse dérouillée qui inspira Hollywood et la chanson « Davy Crockett ». Au terme d’une résistance armée, l’état à l’étoile solitaire acquit son indépendance en 1836. Pendant 9 années, le Texas présida à sa propre destinée de nation distincte, sous la houlette de Sam Houston (à ne pas confondre avec le détective moustachu). En 1845, le Texas signa un traité d’annexion avec les Etats-Unis qui l’engageait semble t-il à fournir des présidents les pires qui soient à l’Amérique. Histoire de faire chier assez le monde pour exister dans la géographie collective.
Le Texas fait la superficie de la France. On ne peut se rendre nulle part à pied. Personne ne marche, tout le monde roule. On me prenait pour un suicidaire exalté à vouloir marcher. Dans la bouche des locaux, marcher était la pire des provocations. C’est au Texas que j’ai entendu pour la première fois des gens me mettre en garde contre le port du bandana. Je marchais dans les quartiers pauvres avec mon bandana jaune. Heureux choix de couleur, s’exclamait-on quand je narrais mes déambulations ! Si j’avais porté un bandana de n’importe quelle autre couleur, on m’aurait immanquablement découpé en petits morceaux! Depuis lors, j’ai entendu la même histoire du bandana dans chaque ville où j’ai mis les pieds. Pour un peu, on instaurerait une campagne de prévention internationale : « Trifouilly les-Oyes – la municipalité vous recommande de ne pas porter de bandana bleu ». Il se peut que j’aie eu de la chance. Comment le savoir ? Je préfère penser que ce ne sont que des conneries. Les américains ont la pétoche de tout. Tout ce qui sort de leur itinéraire les terrorise. On leur construit de belles autoroutes pour leur éviter de se rendre compte de la misère des quartiers entre leurs banlieues cossues et le centre-ville des affaires, et on s’efforce de réduire au minimum le nombre de pas transitionnels. Conjuguée à des habitudes alimentaires déplorables, cette minimisation de l’effort physique ne peut qu’augmenter les problèmes pondéraux.
Mais revenons-en à la « culture » du cow-boy. A Fort Worth, tout un quartier historique leur est consacré : les « stockyards » (marché à bestiaux). Tous les matins dans la saison touristique, des cow-boys de pacotille traversent la rue principale de ce quartier avec leurs ruminants. Ce ne sont pas des acteurs, nous assure t-on, d’ailleurs regardez, ils ont l’air de ne pas s’être lavés depuis quinze jours. Ils passent tous les matins au même endroit avec le même troupeau et le même air bovin mimétique. L’heure de leur passage devant l’office de tourisme est arrêtée 11 heures tapantes. Ce spectacle dépitant est à interdire instamment à tous les grands enfants qui se sont jamais rêvés en virtuose du six-coups. Il y a de quoi flinguer un imaginaire, à défaut de flinguer des méchants mal rasés.
Parlant de tradition, les amateurs d’humour au troisième degré ne manqueront pas d’apprécier le rodéo. Ca commence par une blonde chapeautée faisant un tour de piste sur son cheval en portant à bout de bras la bannière étoilée. Puis elle met pied-à-terre et se met à fredonner l’hymne américain. Grand moment d’émotion, tout le public se met debout et porte la main au cœur. « Oh say, can you see by the dawn’s early light… » jusqu’à « Home of the free and land of the brave », et tous nos américains libres et courageux d’applaudir à tout rompre leur merveilleux pays. Il faut voir ça.
Vient ensuite le rodéo proprement dit. Le défi consiste pour nos cow-boys à tenir plus de huit secondes sur le dos d’un taureau sauvage ou d’un mustang sauvage, ou de n’importe quel animal non ergonomique. Puis, chacun leur tour, les cavaliers participants doivent attraper un veau au lasso et le ficeler comme un colis postal. Reconnaissons à nos néo-cowboys une adresse impressionnante au lasso. Ces viriles compétitions sont entrecoupées de clowneries, de saynètes patriotiques et de publicité. La blonde remonte en selle pour un tour de piste avec un drapeau Budweiser ou McDonalds. Les américains sont tellement bombardés de publicité au quotidien que ça ne choque personne.
La télévision est encore pire que la radio. On passe des télévangélistes menaçants aux programmes de télé-réalité les plus idiots qui soient (Cow-boy University) aux émissions trash façon « C’est mon choix » en pire, au chaînes de télé-achat, aux matches de baseball chiants, à MTV et à ses vidéo-clips abjects, aux courses de NASCAR, aux propagandistes néo-conservateurs de Fox News, etc… Parfois, on peut zapper sur 10 chaînes à la suite sans savoir quels sont les programmes en cours.
Comme on ne peut pas faire grand-chose sans voiture, on se laisse prendre. Il fait beaucoup trop chaud dehors, de toute façon. Ca vous tombe sur les épaules comme une chape de plomb.
Vous avez du mal à respirer. Vous suez par tous les pores. Vous n’aviez jamais imaginer suer des jambes ou des oreilles! Vous attrapez un rhume dès que vous poussez une porte. L’air climatisé refroidit la sueur qui colle à vos vêtements jusqu’à vous faire éternuer.
Le serveur ou la serveuse ne vous lâchera pas de la soirée, s’efforçant de vous faire comprendre qu’il faudra laisser un pourboire, allant jusqu’à dire du bien de Chirac pour tenter de vous amadouer.
J’ai rencontré une serveuse dont la mère était d’origine française et qui avait passé les premières années de sa vie dans l’Hexagone. A quel endroit ? « I forgot ».
«- Est-ce que tu parles un peu français ?
– What did you say ? Bonnjouerr, meurcy, commat allay vouz, déclama t’elle fièrement. That’s about all I remember. »
L’assimilation des immigrants est encore le phénomène le plus fascinant aux Etats-Unis, le territoire le plus cosmopolite du monde. Sur la route de Dallas à San Antonio (qui est de loin la ville la plus agréable de l’état, avec sa promenade en bord de rivière, au bas des gratte-ciels, et son atmosphère laid-back), on passe un ancien village d’immigrants allemands (New Brunsfeld), une ancienne colonie Tchèque pour arriver à une des villes les plus latines du pays. Mais hormis une ou deux boutiques pour gogos (une boulangerie, dans le cas de l’ancienne colonie Tchèque), que subsiste t-il de ces cultures ?
Est-ce qu’il en subsiste vraiment quelque chose, autre que des pourcentages ridicules ?
Un jour de mes regrettées années en Irlande, je surpris une conversation de pissotière dans un pub, dont je me souviendrai toujours. Un américain bourré et nonobstant sûr de lui expliquait son ascendance à un Irlandais ironique :
« – I’m Irish-American. In fact, I’m 25% Swedish, 12% German, 12% Greek and 50% Irish”
Et le 100% dublinois de sourire d’un air entendu. Il avait dû entendre les mêmes salades mille fois de mille touristes américains qui ne tenaient pas l’alcool.
Avant de clore ce traité anti-texan de mauvaise foi, un conseil aux garçons qui pourraient rencontrer des texanes dans des pubs en Irlande : n’allez pas au Texas non plus. Pas plus que les autres. En fait, ce serait probablement pire pour vous.
Jo L'trembleur
N’allez pas en Californie !!! Ca ferait sans doute un bon article. De là à y aller pour vérifier qu’il ne faut pas y aller, il y a un pas, ou plutôt des douanes, que je ne franchirai pas. A la bonne vôtre.
Je me retrouve complètement dans votre article! Des personnes qui sont élevés dans un isolationnisme communicationnel, des besoins primitifs fournis à portée de main (religion et nourriture pré-maché), un semblant de toute puissance histoire de (port d’arme)…et surtout une négation de l’éducation, des sciences pour éconduire toutes les énergies de ces votants vers le gaspillage de ressources négatives, ne créant ou ne participant à aucune richelle locale.
Le Texas est un terrible territoire oublié. Allé, un prochain article sur son antithèse, la Californie? 😀
eh bien quel plaisir de retrouver cette plume incisive et imagée!
J’ai vu sur le frigo d’une amie française à Liverpool un charmant magnet qu’on lui avit ramené du Texas « Texas is bigger than France » – la puissance de l’argument dans ta face!
On sent de l’amertume en fin d’article cher Jo – keep it up mate!
Ca a l’air absolument génial. En plus on peut avoir des armes, la garantie de la liberté.
Ca change de ce pays de connards où on peut même plus parler et où on se fait piquer tout son fric par un Etat soviétoïde.
Vive la liberté, à moi les States !
Avez vous rencontré de vrais texans et si oui, john Wayne est il une femme?