Apportez moi la tête de...

Hum ! Quel bon mot de veau !

"Ah la la, m'sieur Serge, ils ont de la chance ceux qui écrivent dans Rennet, j'aimerais bien écrire dedans vous savez" me disait encore mon boucher en me tendant du mou pour Moumoutte, la chatte chez qui j'habite.

"Ça fait 200 grammes de plus, mais j'le prends quand même" lui répondis-je, éludant avec habileté une réponse qui eût été peut-être vexatoire, genre : "ben t'as qu'à lâcher un peu ton paleron, et pis t'apprends à lire et écrire, ducon". Une telle réponse, aussi méprisante pour toute une corporation en sous-entendant son illettrisme, j'en aurais été incapable, bien sûr. D'ailleurs, tous les bouchers de ma connaissance pourraient écrire dans ces colonnes, on n’est pas des boeufs, quand même.C'est ça, l'amateurisme assumé !

Pas complexé, un peu maladroit mais jamais méchant, le contributeur à Rennet n'a aucune contrainte pour s'exprimer : recruté par un boss sympa sur des critères subjectifs, arbitraires et flous, on lui demande surtout d'avoir suffisamment de prétention pour penser que ce qu'il a à partager est intéressant. Seul hic, mais de taille pour les joyeux lurons que nous sommes, il est une tournure de phrase qui provoque chez lui une forme rare d'urticaire, doublée d'une envie irrépressible de détruire son bureau à coup de masse. Le calembour dans les titres des articles. Ah oui ça, le boss, le calembour, il saque pas, mais alors pas du tout ! Remarquez, il faut le comprendre : il est abonné à Télérama, aux Inrocks, et en plus il reçoit Sortir dans sa boîte aux lettres, alors les titres d'articles à la con, il connaît ! 

Tenez, l'autre jour, il ouvre Télérama et tombe sur "Des souris et de ohms". ça parlait d'informatique. Sans déconner. Pauvre Steinbeck. Et puis, encore un autre jour, il ouvre Sortir et atterrit sur "La cantatrice chauffe". Ah la la. Pauvre Ionesco. C'est quand même dommage, Il est sans doute très intéressant, l'article sur cette pauvre cantatrice qui se trouve du coup "déchroniquée" par un rédacteur voulant soit, juste se la jouer "cool, je fais de l'esprit avec tout, rien n'est sérieux", soit nourrir l'espoir que ses traits d'esprit vont accrocher le lecteur en rendant son sujet plus "fun", "sexy", "punchy" et tous les qualificatifs se terminant par un "y" si chers à la branchitude… En tous cas, tout ça n'est pas pour améliorer l'humeur du boss de Rennet ; il en est à 3 bureaux, 4 lampes, 1 fax et 2 nez cassés depuis le début de l'année. Moi, c'est bien simple, en début de mois je fais le mort en attendant que le facteur passe et que la crise des réceptions de journaux dans sa boîte aux lettres soit terminée. 

En plus, le Rennais s'y est mis ; c'est dire si ce tic agaçant se répand chez nos amis journalistes comme une mauvaise grippe. Là où le citoyen s'attend à prendre connaissance d'une information sur la vie de sa cité, on lui sert une roucasserie. Alors, l'effet "cool" escompté par le rédacteur du titre est inversé à cause du sentiment d'être méprisé que ressent le lecteur ; mépris de son intelligence, comme si une institution ne pouvait s'adresser au public sans faire dans la gaudriole, ou mépris de sa citoyenneté, comme si une elle ne pouvait pas informer les citoyens sans niveler son discours, l'édulcorer et le mettre dans une sauce communicante indigeste. Culminance du genre, Ouest-France titre "travailler dans un hyper, c'est pas super"… Pourquoi pas "Précarité, poil au nez" tant qu'on y est ? 

Allez, c'est vrai, on le reconnaît : le calembour, des fois c'est drôle. Depuis près d'un siècle, la satire et les coups de boutoir hebdomadaires du Canard Enchaîné sont bien servis par des jeux de mots tellement gros qu'ils en sont réjouissants, écrits par des journalistes qui se marrent avec gravité, conscients du rôle salutaire de leur poil à gratter en ces temps où les médias lavent plus blanc que blanc. En cette époque de standardisation et de normalisation à tout va, si même les traits d'esprit sont calibrés comme  des frites Mc Cain, on finira par ne plus faire la différence entre la vraie impertinence, celle qui met le doigt là où ça fait mal, et le trait d'esprit qui n'a de valeur que celle des syllabes dont il est composé. 

Serge Duchemin

1 Commentaire pour “Hum ! Quel bon mot de veau !”

  1. victor hugo dit :

    « Les calembours sont les pets de l’ esprit »

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