Papillote et Politique

Permis de démolir

Ils représentent 20% des votants. 20% qui ont élu un mec à la Présidence de la République et qui, aujourd’hui, se réveillent et se plaignent peut-être « qu’ils n’avaient pas été prévenus ». Trop tard! On en a pris pour cinq ans. Vous pouvez vous lever, marcher, vous mobiliser, tracter, pétitionner. Il a en main l’arme imparable : « Les Français m’ont élu sur un programme, je l’applique ».  Cette rhétorique, bien qu’efficace pour faire taire le frêle opposant, horripile, exaspère…décourage.

Mais l’ont-ils vraiment élu sur son programme ? Et quand bien même, avoir réussi à mobiliser les foules lui donne-t-il le droit de rompre avec les valeurs et la solidarité républicaine, la souveraineté populaire, la séparation des pouvoirs et l’image de la France à l’étranger ?

Parce que c’est bien de tout ça dont il est question. En moins de neuf mois de temps, la liste "de ce qui a été foulé au pied" ou inscrit sur l’agenda de la destruction organisée est déjà longue. Le temps légal de travail d’abord, raillé, tourné en dérision, posé en responsable de la précarité. Une mesure de bobo en somme. Quels sont ces gens qui empêchent les ouvriers de travailler 15 heures par jour s’ils en font le choix ? Croyez-vous que l’American way of life vous tombera du ciel ?

 

L’indépendance des médias ensuite. On nomme leurs responsables en toute impunité. Le Président de la République propose les nouveaux propriétaire et directeur des rédactions du Figaro ? Où est le problème ? Son ancien chef de cabinet, directeur général adjoint de TF1 ? Qui s’en choquera ? Personne… apparemment.

Sans compter la présomption d’innocence, construction plusieurs fois centenaire, pilier de la philosophie politique française, mise à bas en aussi peu de temps qu’il en faut pour le dire. Ou encore la responsabilisation des malades contre la solidarité entre eux et les bien-portants : qui peut être contre les franchises médicales ? L’ancien candidat l’avait annoncé.

 

Et ce gag cynique à Latran. Car c’était une joke… rassurez-moi ! D’où le Bigard sous le bras. Une trentaine de minutes de discours et la laïcité française est à revoir. Ah ça oui, il avait prévenu, écrit, publié, bien avant son adoubement. Donc on courbe l’échine et on espère ? On ferme les yeux en rêvant que l’au-delà sera meilleur ? Et s’il n’y en avait pas ? Encore un pilier de la démocratie que l’on prend en raillerie : « Vous croyez encore en la laïcité ? Vous n’êtes pas sérieux. Je suis personnellement parti en colo aux States, vous savez, le pays de la modernité… Eh bien ils ne font pas comme ça du tout. Et puis J’ai dit que je ferai la rupture, alors… ».

Et le « mini » traité pour une Constitution européenne. Finies les blagues jeunes gens. On arrête de faire les enfants. Il faut être sérieux. Allez espérer plus loin. Non, plus loin ! Les enfants ne savent que dire non… anyway. Je te change le nom, rassemble les copains, et mets à sac la souveraineté populaire.

 

Quant à nos relations avec l’étranger… Les droits de l’homme, c’est pour les fillettes. Retournez à vos bacs à sable, papa est là pour gagner la croûte. Un contrat ici où là vaut bien d’effacer quelques lignes de la déclaration qui a trop longtemps encombré notre pays. C’est pas juste ? C’est ça être adulte ! Il faut dire que pour ça par contre, il n’avait pas prévenu. Il nous avait même soutenu le contraire dans un magnifique discours sur la France, terre d’asile et défenseuse des droits humains par-delà les océans… Vous savez ce que c’est : on s’emballe, on s’emballe et les mots dépassent la pensée.

Mais il ne fait qu’appliquer le programme pour lequel on – ils – l’a élu. Enfin c’est ce qu’il dit. Car élit-on un président sur son programme ? La personnalisation de cette élection n’est plus à prouver. Combien l’ont lu ? Et surtout, combien l’ont véritablement compris ? Encore aurait-il fallu que ce programme eut été compréhensible. S’il y a un héritage que Nicolas Sarkozy n’a pas renié, c’est bien celui de Ronald Reagan. Passons sur le fond (bien qu’il y aurait beaucoup à dire). C’est bien de stratégie politique dont il est question ici et donc de la triangulation à la Reagan. Cette stratégie à la mode ces dernières années permet d’accéder au pouvoir sans s’embarrasser de morale ou de convictions. L’idée est de présenter des propositions catégorielles, selon le public auquel on s’adresse ; et de reprendre les propositions de ses adversaires politiques à son compte pour leur couper l’herbe sous le pied. La question du candidat n’est plus : « Comment puis-je les convaincre que mon programme est le meilleur ? ». Mais plutôt : « Que pourrais-je leur proposer pour qu’ils votent pour moi ? ». On marche sur la tête !

 

Bon, rassurons-nous, il n’y a pas lieu d’être inquiet quant à la potentielle efficacité de telles pratiques dans un pays démocratique. Les journalistes, formés et volontaires, sont là pour rassembler les pièces, analyser les discours et montrer que toutes ces propositions ne font pas un ensemble cohérent ; que les principes parfois présentés sont loin des valeurs défendues par le parti du candidat.

Sauf que… ! Sauf que les grands médias ne l’ont jamais mis en avant jusqu’à aujourd’hui. Sauf qu’on rigolait quand Sarkozy reprenait Jaurès ou Blum face aux ouvriers mais que personne ne le rapportait à son précédent discours aux patrons du MEDEF. Sauf que lorsque le président parlait de droits de l’Homme et de la terre d’asile française, on ne lui opposait pas la chute libre du pourcentage d’obtention de l’asile sous le gouvernement dont il fût le numéro deux.

 

 Bien sûr, il a été élu. Bien sûr, il avait un programme. Il avait surtout les moyens suffisants pour en faire tant de traductions qu’il avait de publics à conquérir. Cet argument ne tient plus M. Sarkozy, et 20% de vos électeurs l’ont déjà compris. 

 

STELLA BROSSE

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