Mon onc' des Amériques

New York sauvée des maux ?

 Ne vous laissez pas abuser par le mascara de votre agente de voyages: New York, ça reste une destination peu salubre. Neuf mois sur douze, la ville n'est qu'un tas de décombres fumants.

Quand, en France, on râle sur les déjections canines, à des milliers de kilomètres de là, les New-Yorkais se coltinent des entités hostiles qui te leur bousillent leurs immeubles et leur congestionnent la voie publique. On en vient même à plaindre le personnel de voirie. L'invasion de monstre gratte-cielivore est la 2è cause de mortalité à New York juste après le travail ! Il est devenu extrêmement coûteux de souscrire à une assurance « invasion mutante ou extraterrestre » de catégorie A. Surtout pour les gens laids.

Dernièrement encore, la ville était dévastée par une tarentule géante dont personne n'a su ce qu'elle venait foutre là ni d'où elle sortait. Une de ces bestioles que n'émeut pas un essaim d'exocets. Le molestage au bazooka ne donnant rien sinon des vagissements de paquebot- garou, il fallut réutiliser la formule d'Oppenheimer. Par chance, le gars qui avait repoussé la dernière invasion des Jupitériens la portait encore sur le revers de la manche de son veston.  

L'infestation de New York a commencé en 1933 avec un singe en rut. Libre sur son île inexplorée, il folâtrait dans la brume au chant des mainates quand l'homme blanc, spécimen doué de connerie, débarqua avec ses fusils et ses filets. L'homme blanc pensait que ce spécimen décuplé de primate ferait la joie des enfants et le rougissement des ménagères au zoo de New York. Patatras! Déjà que le macaque de base surclasse l'Houdini de jadis en termes d'évasion, alors pensez! Un gorille de quinze mètres, ça n'allait pas rester encagé jusqu'aux calendes. Le lubrique animal s'échappa et, à défaut de trouver juge ou petite vieille à son gabarit, copula avec l'Empire State Building. Pour ne pas traumatiser l'Amérique pudibonde avec ces déhanchements en avance sur la musique populaire, les cameramen dépêchés sur place reçurent pour consigne de cadrer la bête au-dessus de la ceinture. Ainsi naquit le « plan américain » sur lequel reposeraient plus tard les carrières entières d'une ribambelle de pétasses aux décolletés hormonalement modifiés.

Le gorille luxurieux ouvrit la voie aux calamités de toutes sortes. En comparaison, les fléaux d'Egypte font office de simple privation de dessert. Extraterrestres, apparatchiks, dinosaures, météorites, bouffon vert, virus, robots, refroidissement climatique, Mariah Carey ou bonhomme Marshmallow… On dirait que les plus immondes périls se passent le(s) « maux » depuis trois quarts de siècle. Prenez une abomination comme Godzilla… Résident des eaux territoriales japonaises dont il apprécie la haute teneur en plancton radioactif, détracteur acharné de l'architecture Tokyoïte, on croyait le saurien rétif aux voyages de destruction culturels. Et pourtant! Éternellement ballonné par un Hiroshima mal digéré, le monstre entreprit en 1998 une villégiature transatlantique qui se termina en symposium poliorcétique.  

Ce n'est que fiction, bien sûr. De la fiction qui obéit à une recette vieille comme le cinéma: transposer l'incarnation d'une angoisse plus ou moins consciente dans un espace tangible et familier. Or, quoi de plus tangible et familier que New York? New York vous en fout plein la tronche avec ses bâtiments gigantesques, ses odeurs de hot-dog, ses sirènes d'ambulance et ses citadins hauts en couleur. Et on voit assez de New York sur le petit écran tous les jours pour ressentir une familiarité de procuration avec ses points de vue les plus emblématiques. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles les images des attentats du 11 septembre ont créé une commotion si universelle.  

Parlons-en, du 11 septembre! Après les attentats, Woody Allen lançait la pierre à ses collègues réalisateurs portés sur la pyromanie. On se mit à penser que plus aucun Jerry Bruckheimer ou Roland Emmerich de ce monde n'oserait refaire péter le moindre édicule de Manhattan. C'était faire abstraction de la nécessité psychologique d'exorciser le traumatisme. Cessa t-on de faire des films de guerre à Hollywood après la débâcle du Vietnam? Au contraire, mon adjudant! La bouche en cul de poule, tous les comédiens d'Amérique se relayèrent dans les rizières de la catharsis nationale.

Le démolissage de New York recommença donc. Les producteurs observèrent une sobriété melliflue pendant deux ou trois ans, se guettant les uns les autres, attendant de voir qui le premier déclencherait l'ire des veuves et sapeurs-pompiers en calendriers. Finalement, n'y tenant plus, Jerry Bruckheimer releva le gant. Sous prétexte de sensibiliser les beaufs à l'écologie, il fit déferler un tsunami sur la grosse pomme, suivi d'une vague de froid mortel. Il inséra même un autodafé de livres là-dedans. Quand on s'appelle Jerry Bruckheimer, on ne fait pas les choses à moitié.

L'année suivante marqua le retour, par ordre de malfaisance, de Tom Cruise et des extraterrestres. La guerre des Mondes bousilla le skyline New-Yorkais. 2008 a vu le retour de la bête géante. Ce qui frappe dans cette cinématographie catastrophe post 11 septembre, c'est d'abord que le point de vue a changé. Les héros de la Guerre des Mondes et de Cloverfield ne sont pas des généraux ou des présidents ou des mathématiciens; ce sont des gens « ordinaires », victimes des évènements plutôt qu'acteurs; leurs décisions n'influent aucunement sur le contexte…Ils sont dépassés par le contexte ! Au bout du compte, le péril prend fin sans qu'ils aient participé d'aucune manière à son élimination. L'intérêt de ces deux films réside dans l'empathie que l'on peut ressentir ou pas envers ces gens « ordinaires » pris malgré eux dans des circonstances extraordinaires. C'est en ce sens qu'on peut reconnaître dans ces films une volonté cathartique.

Gageons donc que l'on continuera de nous montrer des horreurs détruisant New York pendant de longues années. Au moins, tant que ça sera des animaux, des extraterrestres, le climat ou quoi que ce soit qui ne raisonne pas comme un humain, on n'aura pas à se poser la fameuse question: Mais pourquoi tant de haine?   

 

 Teddy d'Montréal"Un fondu qui travaillait qu'à la dynamite"         

3 Commentaires pour “New York sauvée des maux ?”

  1. D.kant dit :

    Excellent éclairage sur la naissance du plan américain. Comme quoi on trouve au moins un cinéphile chez les canadiens.

  2. Louis Lefourbe dit :

    Il vous en prie, et vous remercie à votre tour pour vos lumières dispensées au travers de cet article !

  3. Teddy dit :

    Merci à Louis Lefourbe pour ses éclaircissements littéraires sur le bouquin de HG Wells.

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