Discographie

Long Jeu 3… In Sweden : Skivbutiken Torpa

Eûssiez-vous tenté de me convertir au vinyle il y a encore trois ans, j'aurais haussé les épaules et pensé « snobisme bourgeois ». J'avais trop claqué en CDs pendant des années pour changer de format. « Un son plus chaleureux », « la beauté de l'objet »? Insuffisant, à l'époque. Il eût fallu d'emblée évoquer le plus bel argument en faveur du 33T: l'aspect communautaire.

Jönköping, Suède. 85000 âmes. Le lac Vättern. Le musée de l'allumette. Les triceps de Karabatic. Autant de motifs de visite dont le correspondant de Rennet se fout éperdûment. Une fois passée l'acclimatation inhérente à la météo puis à la langue, le contributeur peut enfin interroger l'indigène à la blondeur prévue: où trouver du disque ici?

Un premier scandinave me dirige vers une boutique avec un nom en Z. Ignominie: l'édifice contient exclusivement du heavy metal craignos des années Yngwie Malmsteen. Horrifié par les nuques longues, les guitares en V et l'esthétique Musclor généralisée, je m'enfuis en poussant des cris semblables à ceux poussés jadis sur les côtes normandes au débarquement des Drakkars.
La suite de mon enquête me mène dans un quartier morne au sud du centre-ville. Un hipster blafard a tracé une croix sur mon plan de la ville à la mention « rock ». La nuit est tombée, un vent glacé souffle dans les rues. De loin, j'avise ce qui ressemble à un 33 T punaisé sur une pancarte. Je distingue le mot « records » et les majuscules "LP" dans le texte. La boutique est située au sous-sol d'un immeuble. Les fenêtres, à hauteur du sol, sont obstruées. Je descends les quelques marches et essaie d'ouvrir. Fermé. Un riff me parvient de derrière la porte. Je frappe. Pas de réponse. Un refrain. Une affiche est scotchée à la porte. Un numéro de téléphone est inscit en caractères gras au bas de l'affiche. J'appelle. La musique s'arrête net. Quelques baragouinages en anglais de part et d'autre et la porte s'ouvre sur une cave remplie de disques et un grand frisé au regard timide.
La boutique n'en est pas vraiment une, m'explique Mauritz, le maître des lieux. C'est une cave qu'il a loué pour entreposer le stock d'albums qui lui est resté sur les bras lorsque le magasin de disques qu'il tenait auparavant a dû fermer ses portes, faute de recettes. Il y a pourtant une espèce de comptoir, beaucoup d'affiches (Hendrix, Floyd), des goodies qui traînent. Mauritz ouvre la porte aux curieux le vendredi et le samedi uniquement- j'ai eu de la chance de le trouver sur place en ce mardi soir. Il vend surtout sur internet. D'ailleurs il attend les résultats d'une grosse enchère concernant un lot qu'il a mis en ligne. Il continue d'acheter dans des foires ou des brocantes. De temps à autre, me dit-il, il ramène des cartons entiers de daubes sans nom. Mais au milieu des vinyles de Gino Vanelli et de la pire variété suédoise se trouve parfois le trésor qui le fera rentrer dans ses frais. De toute façon, il ne peut pas s'empêcher de jouer le coup.

Mauritz est francophile (pas encore -phone, mais rêve de le devenir) et me parle de ses voyages en camionnette dans le sud-ouest de la France. Passion oblige, il y a rencontré des disquaires (« un peu rudes », pour la plupart). Il me montre fièrement un exemplaire de l'album « Paix » de Catherine Ribeiro + Alpes. « Trippy french hippy music », annonce t-il. Il me demande si je connais. « Oui », je mens, connement, pour ne pas passer pour un imposteur. Idiot. C'est pas demain la veille que je retrouverai ce disque. Et maintenant il me le faut.
Le boutiquier est plutôt branché rock planant et electronica, révélation éprouvée avec Pink Floyd et Kraftwerk. Quid de l'artisanat local? Je le provoque en invoquant ABBA et le hard rock scandinave. Rire gêné du timide. Je l'apaise en citant The Knife et Fever Ray, tenants d'une electro minutieuse et glaciale vénérés par mon meilleur pote. Mauritz développe: Silver Bullet, rock avec de grosses basses à la Interpol, Kent, The Soundtrack Of Our Lives. On blalate, on blablate et je n'ai même pas encore regardé ce qu'il a. Je passe sur le rayon « electronica » et les bacs à CD, remplis de ce rock indie d'aujourd'hui dont on fait les pires spots automobiles. Ce qui m'intéresse, ce sont les bacs à vinyle « 60s/70s ». Il y a là du classic album à foison. De la British invasion, du Hendrix, du songwriter 70s, du hard rock, du glam, de la new wave, du punk métissé. Toute une Education Sentimentale. Il y a aussi des titres plus secrets, des artistes moins immédiats. La profession de foi de Mauritz envers Pink Floyd me faisait appréhender des étagères entières de rock progressif imbitable, mais point de cela. Tout au plus quelques Genesis et un Utopia que je lui prends pour la forme.
Je parcours très rapidement les bacs à soldes. Albums moyens pour complétistes de niche. Mal de dos. Et puis Mauritz est pressé. Avant que je rentre dans sa cave, il avait appelé sa copine pour lui dire qu'il arrivait dans cinq minutes. Je lui prends sept LP. Il m'offre un Soundtrack Of Our Lives. Il me propose de me déposer en centre-ville. Il me laisse devant un pub en me promettant de me rejoindre.

Quelques minutes plus tard, il revient avec sa copine. Ils me paient des coups, on discute, et ils finissent par m'inviter chez eux où nous passons encore une bonne heure à écouter de la musique, à parler concerts et différences culturelles. Ça n'est pas avec un putain de vendeur de Fnac ou de Virgin que ça arriverait. C'est soirée de fête pour le couple: le lot s'est adjugé à l'instant à plus de vingt milles couronnes suédoises, et le garçon a promis à sa tendre de l'emmener en voyage si les enchères dépassaient ce seuil. Ça n'est pas tous les jours le faste: Mauritz fait un peu de bricolage à côté pour payer la bouffe. Mais c'est un choix. Pourquoi devrait-on se laisser imposer une identité sociale? Dans le même ordre d'idée, mon hôte m'apprend qu'il a décidé de s'appeler Mauritz sur un coup de tête il y a quelques années: Gundar, ça ne lui correspondait pas. C'est un flirt de vacances qui l'a rebaptisé, et depuis il est resté Mauritz. Je demande à l'amphitryon s'il connaît le fameux album de Lee Hazlewood, « Cowboy In Sweden ». « Ah oui, j'en ai plusieurs exemplaires dans mon bac à soldes! » Argh! Idiot (bis)! J'aurais dû passer plus de temps à excaver! Finalement on s'échange nos adresses et je repars affronter la poudreuse scandinave. La suite de la soirée portera sur « qu'est ce que j'ai loupé d'incroyable dans ses putains de bacs à soldes? ». À chacun son purgatoire.

 

Olof Ljungström-Rënnëtssön

2 Commentaires pour “Long Jeu 3… In Sweden : Skivbutiken Torpa”

  1. Jo Trembleur dit :

    Et ta soeur, elle joue bien du piano?

  2. Olivier dit :

    Gino Vanelli a fait des trucs très bien..

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