Les spécialistes sont unanimes : l'âge d'or des séries télé s'achève en 1980. A contrario, il n' y a que les amateurs de perversités télévisuelles qui font l'éloge des vingt années qui suivent. Il est vrai, seuls des obscurantistes déviants pourraient visionner Maggie, 21th Jump Street, Dallas ou Voisin, voisine en y trouvant matière à dévolution.
Et puis il y eut Six feet under. Créée par Alan Ball – auquel on doit American Beauty – pour la chaîne HBO, cette longue fresque met en scène la famille Fisher, croque-morts californiens névrosés. Ici, pas de fleurs dans les cheveux, de batik ou de patchouli ; seulement quelques costumes 3 pièces, des cadavres, des mines compassées et des familles éplorées. Un cadre propice à la mise en scène d'une tragi-comédie humaine, où l'on voit les personnages évoluer au gré des 63 épisodes.
Tout commence par la mort de Nathaniel Fisher, le père de famille, percuté par un bus alors qu'il rentre du travail pour fêter Noël en famille. Son fils aîné Nate rencontre Brenda dans un aéroport et vit une aventure avec elle. Claire, la fille, adolescente déjantée attirée par une petite frappe hispanique, roule en corbillard vert. David, le deuxième fils, vit avec la peur de révéler son homosexualité à ses proches. Enfin, Ruth, la mère réservée et pieuse, avoue dès le lendemain du décès de son mari qu'elle a a eu une relation extra conjugale avec son coiffeur. Des intrigues parallèles se mettent alors en place dans un scénario très riche : Federico Diaz, thanathopracteur surdoué à la vie de famille pleine de rebondissements ; Claire et sa passion pour la photographie, ses amours, ses amis ; les amours de David et de Keith, la descente aux enfers de Brenda, dont les parents sont psychiatres et dont le frère est malade mental ; ses amours avec Nate ; les amours de Ruth : son coiffeur Hiram, son fleuriste russe Nikolaï, Arthur, un apprenti de l'entreprise et enfin, George, professeur de géologie paranoïaque.
La mort, bien sûr omniprésente, ne rend pourtant pas cette série morbide. Elle est juste la porte d'entrée vers une multitude de thèmes abordés avec humour (noir) : l'amour, les relation familiales, la religion, l'homosexualité, la trahison, la culpabilité, la repentance, le handicap mental… Toute une pléiade de thèmes, parfois tabous jusqu'alors dans les séries télévisées, qui met le téléspectateur face à des situations qu'il peut avoir connu dans son existence. C'est peut-être là la première clé du succès de cette série : l'emprise du scénario dans le réel est très forte. Chaque épisode s'ouvre par le décès d'un futur "client" de la maison Fischer, souvent inspiré de faits divers. Le voile se lève alors sur le métier de thanatopracteur, dont on se demande bien comment il peut susciter des vocations.
La deuxième clé est sans doute la mise en scène des caractères des personnages dans lesquels chacun trouvera son compte : un séducteur victime d'un accident vasculaire cérébral et sa femme volage, un couple homosexuel libéré, une apprentie artiste étudiante en école d'art… Les personnages se dévoilent à nous dans leurs fragilités, leurs doutes, et l'empathie que l'on éprouve vient de leur capacité à nous renvoyer à notre propre condition.La dernière clé de cette réussite est plus latente, et nous évoque l'appréhension de notre finitude. La télévision nous projette sans cesse des images de jeunesse, de corps en parfaite santé et de réussite. Notre réceptivité à ces messages positivistes nous rassurent et nous permettent de nous inscrire dans le déni de ce qui nous arrivera immanquablement. Les seules possibilités données au spectateur d'appréhender la mort se font au travers d'actualités, ou à l'occasion de talk shows misérabilistes peu ancrés dans notre quotidien. Là, c'est de nos vies dont "Six feet under" parle, avec une sensibilité et une humanité jamais vues jusqu'alors.
Plus d'infos
http://www.sixfeetunder-france.com/index_site.php
http://www.hbo.com/sixfeetunder/