Terra Incognita

Un jour de marché à Rennes

En 1967, Henri Mendras publiait un ouvrage – sur les transformations de la ruralité – intitulé « la fin des paysans ». Après avoir séjourné quelques années au Québec où les marchés de proximité n'existent plus, je me suis posée cette question: «  Connaîtrons-nous un jour la fin des marchés? »

La population québécoise ne cuisine généralement plus depuis 4 générations. Cela a créé une rupture dans le lien social, familial et des savoirs faire. Les personnes ne sont plus sensibilisées au goût de la nourriture, à la préparation des aliments, ils ne s'interrogent pas de l'accès à ces produits, de la provenance, du traitement, de la composition, de la conservation, des prix, de la diversité, des OGM…

Tout ce processus a participé à une dégradation très rapide de la qualité de vie. C'est pourquoi dès mon retour en France, j'ai souhaité retranscrire des témoignages de commerçants et des habitués qui se rendent au marché de St Thérèse à Rennes. Ils ont répondu avec entrain à mes questions, concernant leurs activités, l'ambiance du marché et surtout l'importance du rôle des parents à emmener les enfants sur les marchés.

Mercredi 11 avril, nous sommes sur la Place du Souvenir au marché sainte Thérèse, le soleil est magnifique et les pétales blancs des arbres en fleurs embaument et recouvrent les étals. Portraits et témoignages:

– Jean-Yves était enseignant avant de devenir commerçant dans les produits biologiques. Il nous raconte que : « Le marché St Thérèse, je l'aime pour son ambiance, la qualité des produits et le contact! Ce sont des gens du quartier qui viennent et il y a une grande fidélité… puis des discussions et des remarques positives entre les clients sur les produits des commerçants. Les gens sont réceptifs et ils écoutent les bons conseils comme, par exemple, la quantité d'antibiotique que contiennent les fruits classiques et le fait qu'il n'y en pas sur les biologiques. Concernant le bio, s'il n'y avait pas la course au rendement et à la productivité qui détruit la qualité… le bio serait plus accessible. Ce sont les tarifs en magasins qui ne sont pas raisonnables. Le seul handicap du bio, en fait, c'est son apparence. Et c'est dommage car ils sont délicieux et ces produits disparaissent car les gens veulent du standard de belle apparence! » 

– Yvette est retraitée et habite dans le quartier de St Thérèse. Pour elle le marché c'est toute une ambiance « on discute, on fait les courses et c'est à proximité. Certains de mes petits-fils aiment l'ambiance mais la plupart n'aiment pas suivre et puis les parents travaillent et n'ont plus le temps de les amener. »

– Anne-Marie est commerçante et propose une grande variété de légumes et de pommes locales. Elle apprécie le marché St Thérèse car il y a une très bonne ambiance entre les commerçants et les clients qu'elle ne retrouve pas ailleurs. « J'aime beaucoup la mentalité ici car le marché est très bien organisé et ce n'est pas conflictuel ». Originaire d'Anjou, elle apprécie le dépaysement car ici « on croise beaucoup d’enfants qui mangent des galettes et des saucisses sur la place! » (Rires). « Et je trouve ça très bien que des enfants viennent sur marché. C'est comme ça qu'enfant j'ai découvert. Le marché c'est les odeurs et les couleurs! »

– Josette promène sa petite-fille Sophia au marché. Pour elle, ce qui prime, c'est de faire découvrir à sa petite-fille « des activités, faut que ça bouge, je veux lui montrer des produits qu'elle ne connaît pas, qu'elle rencontre des commerçants et lui montrer comment ça marche de peser les fruits et légumes, comment rendre la monnaie ».

– Plus loin, deux jeunes filles s'amusent à asticoter les crabes pendant que des vendeurs détaillent des méthodes de conservation ainsi qu'une recette de poisson avec des oignons et du citron. Entouré d'une équipe très souriante, Laurent, vendeur de poisson et de crustacés au « Petit Chalut » accepte de répondre à nos questions. Pour Laurent, les enfants sur un marché, c'est important « mais peut-être qu'il manquerait un manège comme dans le sud de la France ou des produits qui les concernent » (rires). Il pense aussi qu'il aimerait amener sa fille sur le marché mais qu'il ne peut pas car il ne pourrait pas la déclarer alors que d'autres étals comptent plusieurs enfants et ne sont pas contrôlés. Parfois, il a le sentiment que ce marché à été oublié par les politiques de ville, pourtant « les commerçants, ça représente plus d'un million de personnes en France » et que parfois des petites choses techniques peuvent bloquer tout un accès des clients sur la place du marché. Alors que c'est très important pour notre commerce. » Concernant l'éducation, « nous, nous proposons des produits frais, qui ont du goût, c'est important que les enfants découvrent ça. Car dans les écoles on ne les éduque pas à ça, c'est du surgelé ou du poisson pané! ».

 

Valérie "Wanda" Dagrain

Passionaria "numérique", Valérie Dagrain est connue dans le milieu des médias alternatifs et résistants sous différents pseudos, dont celui de Wanda… Un surnom qui fleure bon la convivialité mais plus que trompeur quand vous saurez que ce titre lui a été décerné par ses ennemis et nombreux détracteurs… Wanda se révèle un être sanguinaire quand on touche à toute forme de liberté.

Son histoire sombre se confond avec la découverte de la "vraie" galette et de l'invention de la forêt noire sous d'autres cieux.

6 Commentaires pour “Un jour de marché à Rennes”

  1. Joe Le Trembleur dit :

    Merci pour ces réflexions, Wanda.
    Tout ça est assez effrayant.

  2. wanda dit :

    Les exposants et artisans du marché St Thérèse m’ont fait part qu’ils étaient ravis d’avoir un espace de visibilité et d’expression. Aussi, je compte continuer et restituer d’autres témoignages d’autres commerçants!
    La prochaine fois, je compte vous présenter un Fromager très conscient de la richesse culturelle de notre pays…et de la diversité de ses fromages. Il est « bien bon » son ptit comté fruité….je vais aller revenir le voir!

  3. wanda (auteur) dit :

    Pour Tatiana Varice 🙂

    Dans les choses terribles au Québec, nous avons
    – d’un côté le sucre et les lipides omniprésents (soda à tous les repas provoquant des carries en très bas âge, le pain de mie qui provoque des problèmes gastriques et musculaire pour les gencives, les plats lourds et gras en toute saison, une auto-alimentation par les jeunes sans suivi parental ou les cantines)
    – de l’autre côté des produits pas mûrs qui n’ont pas de goûts, des produits transformés noyés dans des sauces au nom exotique, de rares descriptifs sur le contenu de ces plats cuisinés (très salés aussi).

    Lorsque tu cites le pâté de cerf…à la guimauve je repense à mes premières tentatives de trouver de la farine, du cacao et du porc. Challenge. Il m’a fallu 8 mois environ pour trouver « de la farine de blé 100% blé », du cacao 100% cacao et du porc ….vendu sans canelles ou autres parfum;-)!!!

  4. wanda (auteur) dit :

    Bonjour,

    Effectivement le marché Jean-Talon résiste à Montréal. Mais si on gratte la croute que constatons-nous: un marché pour 2 millions de personnes, les commerçants ont l’exclusivité de la place nuisant à la libre concurrence, la diversité des produits s’est trouvé ainsi dégradée (pas de vrais lieux de stockage des denrées – Des mangues et autres fruits & légumes, gelées à -30°, sont jetées à la tonne chaque année), les producteurs locaux…vendent aux états-unis, les produits vendus proviennent …des Etats-unis et du Chili. Le comble du comble, des produits « Leader Price » sont vendus très chers dans les boutiques de « produits gastronomiques » car il est écrit « made in France »! Inutile de vous dire que d’un côté, ces pratiques véhiculent la mauvaise image de la cuisine étrangère. D’un autre côté, des producteurs n’hésitent pas à étiqueter des produits « fromage Suisse » made in Québec. Ce manque de contrôle de Label provoque une fois encore ce type de réaction « c’est vrai qu’en Europe, ça la cuisine a plus de goût! ». Alors que les légumes sont là, prêt à être cuisiné….

  5. Tatiana Varice dit :

    Du fromage, du saucisson… Quelle dissidence, quelles gauloiseries!
    Vous reprendrez bien un peu de pâté de tête de cerf… à la guimauve!

  6. Joe Le Trembleur dit :

    Bonjour!

    petite précision: le marché Jean-Talon à Montréal (le dernier de son espèce en Amérique du Nord) résiste encore et toujours à l’envahisseur.
    J’y vais de temps en temps m’acheter un saucisson et du fromage.

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