Discographie

Kill, kill, kill, kill the poor, kill kill kill the poor tonight!

En cette époque guillerette de kärchérisation des esprits, le bon sens dissident réclame des power chords et des slogans séditieux. On s’oriente donc tout naturellement vers le rayon « punk » et on ressort de chez son disquaire avec un album des Dead Kennedys dans le baladeur.

« Fresh Fruit For Rotting Vegetables », par exemple… A l’image des bagnoles qui crament sur sa pochette, FFFRV est encore d’une actualité hurlante.

 On marche dans les faubourgs cossus en gueulant « Kill, kill, kill, kill the poor, kill kill kill the poor tonight ». On se dit que ce refrain ferait un tabac dans les congrès de l’UMP. On augmente encore le volume dans le métro pour voir s’allonger la grimace du vieux con d’universitaire assis sur son strapontin. On se demande s’il entend bien les paroles.

« Let’s lynch the landlord, let’s lynch the landlord now… »

Quand on arrive chez soi, on se repasse « Chemical Warfare » en boucle sur sa stéréo pourrie, jusqu’à ce que des horions réprobateurs résonnent sur les murs et le plafond. C’est le moment de passer à « California Über Alles ». Rien de tel qu’un vieux classique pour calmer les esprits.

 « Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. » 

 Jello Biafra et ses acolytes avaient trouvé quoi faire pour leur pays : faire chier les cons. Contrairement à la pléthore de groupes punk à l’encéphalogramme plat d’aujourd’hui, les Dead Kennedys avaient du mordant. Les Dead Kennedys, Black Flag, Hüsker Du et Minor Threat étaient les phalanges du mouvement hardcore qui faisait le coup de poing dans les années 80. Des phalanges façon « Nuit Du Chasseur ».

Imaginons un instant : un bureau au FBI. Un homme en chemise blanche avec des bretelles et d’épaisses lunettes. Il a les tempes grisonnantes ; des rides creusent son front dégarni. Des dossiers traînent sur son bureau. Sur un de ces dossiers, une photographie de John Lennon. L’homme se saisit d’un tampon et l’abat sur la photographie. Décembre 1980. Classified.

« Enfin, pense t-il, je n’ai plus me préoccuper de celui-là. »

 C’est alors qu’un collègue surgit dans son bureau :

« Un nouveau dossier pour toi, s’exclame celui-ci en jetant une chemise épaisse sur le bureau. 

« – Qu’est-ce que c’est ?

« – Oh, juste de nouveaux rigolos à surveiller, répond l’autre. Bonne chance, termine t-il en refermant la porte derrière lui. »

Notre brave fonctionnaire fronce les sourcils.

« – Dead Kennedys, lit-il à haute voix. Voyons ça. »

Il parcourt les premières pages du dossier.

« – Et merde ! »

 

 Hippy, Hippy Fake…

Les Dead Kennedys se forment en juin 1978 à San Francisco en réponse à une petite-annonce du guitariste East Bay Ray (alias Raymond Pepperell). Le line-up original du groupe est constitué de Jello Biafra (Eric Boucher) au chant, Klaüs Flouride (Geoffrey Lyall) à la basse et 6025 (Carlos Cadona) à la batterie. Ce dernier ne fait pas long feu derrière les fûts: il est remplacé dès juillet par le plus aguerri Ted (Bruce Slesinger), et après avoir tenu la guitare rythmique quelque temps, il lâche définitivement le groupe en mars 79.

Parce que le nom du groupe les empêche de tourner à leurs débuts, les DK se voient obligés de jouer sous des pseudonymes moins dynastiques, comme « The Sharks » ou encore « The Pink Twinkies ».  

Un premier simple sort en juin 1979 : « California Über Alles », le récit de l’irrésistible ascension d’un pourri de droite jalonné de riffs de kärcher et martelé par des godillots cloutés. Moins d’une année plus tard, les Kennedy trépassés enregistrent « Holiday In Cambodia », dénonciation virulente de l’indifférence américaine face aux atrocités du régime de Pol Pot dans les années 70.

En automne 1979, Jello Biafra se porte candidat à l’élection municipale de San Francisco sous le slogan « There’s Always Room For Jello » (« il reste toujours de la place pour de la gelée »). Parmi les mesures évoquées dans son programme, Biafra souhaite obliger les businessmen à se vêtir en clowns lorsqu’ils se trouvent en ville. Il préconise d’interdire l’accès en ville aux voitures et de légaliser le squattage dans les immeubles abandonnés, et veut mettre en place un système selon lequel les policiers municipaux feraient l’objet d’un vote régulier de la part des citoyens résidant dans les quartiers qu’ils patrouillent. Lorsqu’une candidate rivale se fait un coup de pub en passant le balai dans une rue du centre-ville pour symboliser sa volonté de « nettoyer la ville », Biafra, jamais à court d’idées, se pointe devant la résidence de celle-ci équipé d’un aspirateur de feuilles et entreprend de nettoyer devant chez elle.

Au final, Biafra recueille 3, 5 % des suffrages et termine en quatrième place de l’élection.

 Un an plus tard, en automne 1980, leur premier album « Fresh Fruit For Rotting Vegetables » arrive dans les bacs. FFFRV est assez bien reçu pour un album rentre-dedans, notamment en Angleterre où le nom du groupe ne choque personne. Il faut dire que les Sex Pistols avaient défriché le terrain de l’iconoclasme politique dès 1976 avec la grenade « God Save The Queen ».

 

Début 1981, le batteur Ted décide de se lancer dans une carrière d’architecte. DH Peligro (Darren Henley) est embauché pour pallier à son départ. East Bay Ray se met en tête d’essayer de persuader les membres du groupe de signer un contrat avec Polydor Records. Choqué par ce lobbying mercantiliste, Jello Biafra menace de quitter la formation. Mais lorsque les Dead Kennedys annoncent qu’ils travaillent à un simple intitulé « Too Drunk To Fuck », les cadres de Polydor jouent les effarouchés et la signature du contrat est repoussée sine die. Les divergences d’ambition du chanteur et du guitariste apparaissent au grand jour. Tandis que Pepperell voudrait voir le groupe émerger du carcan underground, Boucher refuse obstinément de transiger avec les majors. Les Dead Kennedys resteront sur le label Alternative Tentacles (qu’ils ont contribué à créer) jusqu’à leur séparation en décembre 1986.

 Ray et Biafra mettent leurs désaccords de côté le temps d’un mini-album et d’un album intitulés respectivement « In God We Trust, Inc. » et « Plastic Surgery Disasters ». Outre les riches et puissants et les fous de Dieu, Biafra vilipende les skinheads sur « Nazi Punks Fuck Off ». La formule reste la même : moulinages surf-rock hyper-saturés, boums-boums herculéens et braillements incitant au désordre.

                                                                                                                

Les vraies emmerdes commencent avec la sortie de « Frankenchrist » en 1985. La pochette du 33 tours original contient la reproduction d’une œuvre de H.R Giger dépeignant plusieurs phallus pénétrant plusieurs vagins, occupation à laquelle divers phallus aiment se livrer, parfois. Tout ce que la Californie compte de parents rue dans les brancards. Les Dead Kennedys et leur label sont appelés à répondre de la « distribution de matériel choquant aux mineurs » devant les tribunaux. Le procès durera jusqu’en août 1987. Il aboutira à un non-lieu. Entre temps, les Dead Kennedys enregistrent leur dernier album avant leur séparation en décembre 1986 : « Bedtime For Democracy » (qu’on pourrait traduire par : « au lit, la démocratie »).

 La musique des DK prend une orientation différente dans ces deux derniers albums. Les titres sont plus longs, plus déclamatoires, moins percutants pour tout dire, même si le propos reste enragé, comme en attestent les titres « Soup Is Good Food », « The Stars And Stripes Of Corruption », « Chickenshit Conformist », etc… 

Un an plus tard paraît « Give Me Convenience Or Give Me Death », compilation comprenant plusieurs titres réenregistrés ainsi que divers morceaux plus ou moins inédits.

 La suite n’est que disputes grotesques entre Jello Biafra et les autres membres du groupe qui se reforme sans son ancien chanteur en 2002. Celui-ci enregistre de son côté un paquet d’albums (dont deux avec les Melvins) dont tout le monde se contrefout.  Le chanteur n’inquiète plus notre homme imaginaire du FBI depuis longtemps. D’ailleurs, maintenant, ce dernier doit être à la retraite. A l’heure qu’il est, il est sans doute en train de paître sur un green en Floride.

 

 Mais on frappe à la porte. Ce doit être un concierge courroucé. Vous feriez mieux de ne pas aller ouvrir. Remettez-lui un coup de « Stealing People’s Mail ». Ca devrait lui plaire.    

Joe L’ Trembleur

  

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *