Le Stade de France existe, Rennet l'a rencontré… De notre envoyé spécial à St Denis, Louis Lefourbe.
Cauchemar dionysien
Elevé au rang de panthéon du sport français, le Stade de France s’apprête à célébrer son dixième anniversaire. En attendant les écœurantes réjouissances dont nous gratifiera certainement la société qui l’exploite, c’est l’heure ou jamais de poser un regard lucide sur l’enceinte dionysienne.
De ce terrible paysage,
Tel que jamais mortel n’en vit,
Ce matin encore l’image,
Vague et lointaine, me ravit.
19 heures : il est temps de se mettre en route pour aller assister au match. Peu importe lequel d’ailleurs, c’est à chaque fois le même cirque. Dans les rames bondées du RER, des hordes de footix – ou leurs alter-ego rugbystiques – vêtus de bleu commencent à pousser la chansonnette. Ca fleure bon la France d’en bas, les rillettes et la vinasse. La plupart viennent en famille : Papa est boudiné par son maillot bleu, Maman rajuste la casquette officielle du club des supporters de l’équipe de France, et le fiston arbore fièrement une écharpe aux couleurs de ses héros. « Ce soir, va y avoir de l’ambiance, » affirme avec un large sourire le paternel, la moustache frétillante. Ca promet…
Le sommeil est plein de miracles !
Par un caprice singulier
J’avais banni de ces spectacles
Le végétal irrégulier,
Et, peintre fier de mon génie,
Je savourais dans mon tableau
L’enivrante monotonie
Du métal, du marbre et de l’eau.
19h45 : c’est le moment de sortir du RER et d’affronter la marée humaine qui jalonne les quelques centaines de mètres reliant la gare au stade. Les marchands du temple nous attendent : installés derrière les comptoirs de leurs baraques à frites, ils commencent déjà à ne plus savoir où donner de la tête. Après un quart d’heure à jouer des coudes, je parviens enfin à commander un merguez-frites et une pinte de bière. « Y a plus de moutarde, » daigne m’informer l’un des apprentis maître-queux. Tant pis, quelques centilitres de graisse liquide feront l’affaire… Plus léger de huit euros, je m’éloigne de la cohue en me maudissant d’avoir oublié de demander un essuie tout. Vingt mètres plus loin, c’est le drame : quelques excités paradant derrière un drapeau tricolore me heurtent et font tomber ma précieuse pinte. Heureusement que j’ai pensé à emmener une bouteille d’eau dans mon sac…
Babel d’escaliers et d’arcades,
C’était un palais infini
Plein de bassins et de cascades
Tombant dans l’or mat ou bruni ;
En chemin, mon regard s’attarde sur les panneaux indiquant le nom des rues attenantes. Rue Jules Rimet, en hommage au créateur de la coupe du monde de football : passe encore. Mais perpendiculairement à celle-ci, je constate avec effarement que les traverses ont été baptisées Rue du Mondial 1998, Rue de l’Olympisme, Rue du Tournoi des Cinq Nations et Rue de Brennus. La glorification de la France comme patrie du sport n’a pas de limites, tout comme le manque d’imagination des élus locaux. Ces venelles sans charme sont bordées d’immeubles de verre et de métal, au pied desquels scintillent les enseignes de quelques brasseries sans âme, où la bière est encore plus chère que dans les baraques à frites. Détournant le regard, je presse le pas.
Et des cataractes pesantes,
Comme des rideaux de cristal
Se suspendaient, éblouissantes,
A des murailles de métal.
Arrivé sur l’esplanade, c’est l’instant désormais familier de la contemplation béate : la masse gigantesque de l’enceinte me domine de toute sa hauteur. Le bâtiment est orné de colossales représentations picturales où tous les tons de l’arc-en-ciel se mélangent joyeusement : le jaune d’un constructeur automobile, le rouge d’une boisson gazeuse, le bleu d’un assureur, l’orange d’un fournisseur d’énergie, le vert d’un loueur de voitures… D’immenses bâches qui bordent l’autoroute attenante permettent aux automobilistes de passage d’avoir droit à leur part de rêve. Outrageusement fardé comme une vieille prostituée pour compenser la faillite de ses charmes, le Stade de France brille dans la nuit aux couleurs de ses « partenaires ». Une forte envie de vomir me tenaille le bide : pas sûr que ce soit le merguez-frites que je viens d’ingurgiter.
Non d’arbres, mais de colonnades
Les étangs dormants s’entouraient
Où de gigantesques naïades,
Comme des femmes, se miraient.
Une fois passés les contrôles de sécurité préliminaires, où j’ai dû abandonner ma bouteille d’eau en gage de ma bonne conduite, je gravis les escaliers pour rejoindre ma place en tribune. Pas encore plein, le Stade commence déjà à se chauffer les cordes vocales, dopé par l’entrain surnaturel des footix. Les footix constituent la cohorte la plus bruyante des 80 000 privilégiés qui assistent, une grosse vingtaine de fois l’an, aux matchs qui se tiennent au Stade de France. La plus bruyante, mais de loin la moins nombreuse, et la seule à venir en transports en commun.
Des nappes d’eau s’épanchaient, bleues,
Entre des quais roses et verts,
Pendant des millions de lieues,
Vers les confins de l’univers :
Ils sont largement devancés par une population de parisiens aisés, qui viennent passer la soirée entre l’A1 et le périphérique comme on va au théâtre ou à l’opéra. Attention à ceux-là, il ne faudra pas les déranger durant le spectacle.
C’étaient des pierres inouïes
Et des flots magiques, c’étaient
D’immenses glaces éblouies
Par tout ce qu’elles reflétaient !
La dernière partie de l’assistance, sans doute la plus nombreuse, est composée des légions de collaborateurs de grandes entreprises qui viennent parler business dans les loges au-dessus du premier étage, ou en tribune – latérale bien sûr – quand les espaces VIP sont surchargés. Pour le confort de ces derniers, il ne faudra pas crier trop fort pendant le match. On s’en voudrait de gêner leurs transactions commerciales.
Insouciants et taciturnes,
Des Ganges, dans le firmament,
Versaient le trésor de leurs urnes
Dans des gouffres de diamant.
20h35 : il est temps d’en griller une pour patienter, et accessoirement faire passer l’arrière-goût de graisse laissé par le faux hot-dog. Dans dix minutes, le match va commencer : c’est le moment d’aller aux toilettes, parce qu’à la mi-temps la foule aura complètement salopé les lieux. En retournant à ma place, j’entends la musique protocolaire annoncer le début des réjouissances. Le speaker égrène les prénoms des joueurs et laisse les spectateurs, ravis, scander les noms de leurs idoles. Satisfaits par ce premier jeu réussi, les footix se rassoient, cédant aux demandes pressantes et pour l’instant polies des amateurs de théâtre. Il est 20h45, les acteurs entrent en scène.
Architecte de mes féeries,
Je faisais, à ma volonté,
Sous un tunnel de pierreries
Passer un océan dompté ;
Le match commence sous les vivats bon enfant du public. Les flash crépitent, les applaudissement retentissent et, passées les premières secondes, le silence retombe. Souvenez-vous : nous sommes au théâtre, on fait du bruit seulement quand un acte se termine. Trop éloignés de la scène, les spectateurs des rangs supérieurs reportent maintenant leurs regards vers les écrans géants qui surplombent les virages : c’est le moment que choisit la réalisation TV pour lancer le deuxième jeu de la soirée. Sur le terrain, une action s’arrête ; sur l’écran apparaît le visage d’une jeune fille grimée de bleu, blanc et rouge. Après quelques instants d’incompréhension, l’adolescente se met à gesticuler grotesquement en reconnaissant sa caboche. C’est ensuite au tour d’un quatuor de quinquagénaires de trinquer à leur propre santé par le truchement de l’écran… Le manège se répétera à intervalles réguliers pendant toute la rencontre.
Et tout, même la couleur noire,
Semblait fourbi, clair, irisé ;
Le liquide enchâssait sa gloire
Dans le rayon cristallisé.
Et soudain, l’explosion : la France a marqué ! Scènes de liesse dans le stade : les footix se jettent dans les bras des uns et des autres, alors que les bourgeois applaudissent chaleureusement avec leurs deux mains. Même les VIP, qui quelques instants plus tôt commandaient une troisième coupe de champagne dans leurs loges, se congratulent, cigare et sourire aux lèvres. Tout à son bonheur, le public du Stade de France s’unit alors dans une grande mise en scène de l’hystérie collective : c’est l’heure de la ola, le troisième jeu. Lancée depuis un virage, elle gagne rapidement la tribune latérale, puis le second virage, avant d’arriver à la présidentielle. Face au manque d’enthousiasme des grands de ce monde, quelques sifflets retentissent, mais après dix ou douze tours de stade tout le monde est dans le rythme. La ola, c’est le moment préféré des footix, c’est celui qui leur fait dire ensuite : « y avait une de ces ambiances, ce soir ! » En rentrant, chacun dira « c’est moi qui l’ai lancée, et si t’avais vu comme on a sifflé quand la tribune d’honneur a pas voulu bouger son cul ! » Même les bourgeois adorent, parce que c’est quelque chose qu’on ne fait pas à l’opéra. En agitant leurs bras au-dessus de leurs têtes, ils ont l’impression jubilatoire de d’accomplir un acte défendu.
Nul astre d’ailleurs, nuls vestiges
De soleil, même au bas du ciel,
Pour illuminer ces prodiges,
Qui brillaient d’un feu personnel !
C’est sans doute le vingt-septième tour de ola qui a empêché les plus acharnés de réaliser que la France venait de se faire joindre au score. Un silence de mort s’abat sur le stade. Tout le monde s’assied et commence à grommeler. Devant l’incapacité des Bleus à reprendre l’avantage, les premiers lazzi fusent. A l’approche du coup de sifflet final, c’est une véritable bronca qui s’élève des tribunes. Les VIP, soucieux d’éviter les embouteillages sur le périph, sont déjà repartis. Les bourgeois leur emboîtent le pas, alors que les footix se lamentent. Au coup de sifflet final, une nouvelle salve de cris résonne, ponctué de quelques mots fleuris. Chèvres, baltringues, guignols, le champ lexical du théâtre populaire prend le dessus. Il est 22h30, le Stade de France est vide.
Et sur ces mouvantes merveilles
Planait (terrible nouveauté !
Tout pour l’œil, rien pour les oreilles !)
Un silence d’éternité.
Et c’est de nouveau la course, le slalom entre les gens pour regagner le RER au plus vite, les embouteillages aux portillons, la compression dans les rames, la proximité avec les aisselles malodorantes des voisins, et enfin le retour à Paris. Arrivé chez moi une heure plus tard, j’allume une nouvelle clope et avale d’un trait un demi-litre d’eau fraîche. Ecœuré, fourbu et passablement dégoûté, je me brosse les dents et file me pieuter. Pas de réveil demain, c’est dimanche.
En rouvrant mes yeux pleins de flamme
J’ai vu l’horreur de mon taudis,
Et senti, rentrant dans mon âme,
La pointe des soucis maudits ;
La pendule aux accents funèbres Sonnait brutalement midi,
Et le ciel versait des ténèbres
Sur le triste monde engourdi.
Louis LEFOURBE
Je vous souviens que joli s’écrit avec un « z » dans le contexte utilisé… on dira donc « c’est très zoli ! »… Par contre, s’il est suivi de près, voire même flanqué, on dira : « c’est très joli de me voir dans ce miroir… »
C’est très joli.
Cher Greyhound les italiques sont de Baudelaire, plus précisement le poème intitulé « rêve parisien ». Bien à toi, LL.
la luttte des claques n’est pas enterrée, merci, Louis, pour cette classe analyse.
Merci de donner la source de tes italiques*