L’humanité entière a déjà entendu la voix de Sandy Denny sur la ballade baba-druidique « The Battle Of Evermore »* sur laquelle la chanteuse « duote » avec un Plant en pleines divagations régressives, inspirées sans doute par un mélange nocif…
… de Tolkien et de substances pas catholiques. Mais les amateurs de vieilles pierres connaissent d’abord Alexandra Elene McLean Denny comme l’organe enchanteur du Fairport Convention des débuts, avec lequel elle enregistra trois LPs majeurs : What We Did On Our Holidays, Unhalfbricking et Liege & Lief, ce dernier album étant généralement considéré comme la pierre angulaire du folk-rock britannique. Le groupe devait ensuite subir un fort revers avec les départs conjugués de Ashley Hutchings, bassiste et membre fondateur, et de sa chanteuse donc (qui rejoindra cependant une mouture différente de Fairport Convention en 1975 pour l’album Rising For The Moon). Le premier s’en alla former le groupe Steeleye Span, qui livra vite fait bien fait un fort recommandable premier opus dans la même veine folk-rock : Hark, The Village Wait.
Quant à Sandy Denny, elle monta le groupe Fotheringay, dont le seul album (éponyme) est devenu l’objet d’une adoration plus confidentielle et sophistiquée que les cultes des sociétés secrètes archi-cucul de Dan Brown (superbe « Nothing Else »). En récompense de services rendus à la cause musicale, Sandy Denny reçoit la même année les honneurs du Melody Maker qui l’élit chanteuse de l’année. En 1971, entourée entre autres de Richard Thompson et Trevor Lucas des formations précitées, elle compose un premier album solo, The North star Grassman & The Ravens.
Les sanglots longs des violons…
Par synesthésie mystérieuse, de la même manière que le deuxième album du Band sent le bois de conifère des montagnes rocheuses à plein nez, The North star Grassman & The Ravens (TNSG&TR),évoque l’automne, saison des brumes et des bémols mélancoliques. La chanson qui ouvre l’album s’intitule d’ailleurs « Late November ». Arpèges de guitare introspectifs, accords de piano pluvieux, roulements de batterie annonçant l’orage à la première césure, ce premier titre intime d’emblée d’aller attraper quelques fagots dehors et de rentrer ensuite ingurgiter un thé à la camomille.
Suit « Blackwaterside », jolie ballade empruntée au répertoire traditionnel. Un accordéon lancinant et une guitare flâneuse accompagnent des intonations impossibles à siffloter (rappelons qu’en 1971, le marché de la sonnerie de portable était inexistant). « John The Gun » constitue le sommet épique de l’album, qui raconte une bête de guerre aux mêmes effets désherbants qu’Attilla. « My shadow follows me wherever I should chance to go/ John the Gun did say/ If you should chance to meet me as I wander to and fro/ Sad would be your day ». L’instrumentation est fantastique, la rythmique et le chant sont d’une puissance rare. Conformément à ce que laisse entendre son titre, ce morceau est une tuerie.
« Next Time Around » est une ode aux idées noires, une interpellation neurasthénique.
Toute velléité de jovialité fout invariablement le camp dès les deux accords de piano cafardeux de l’intro Et passé un bref répit de deux titres inoffensifs, « Wretched Wilbur » remet ça. Flanquée de violons endeuillés et de guitares minérales, la chanson est à peu près aussi pêchue que la rubrique nécrologique du torchon paroissial.
La chanson qui donne son titre à l’album est une somptueuse rêverie marine à écouter les yeux fermés… Le flux et reflux des vagues sur la grève…Un orgue dans la nuit étoilée… Une voix à la fois sobre et solennelle entonne un chant d’adieu. “They stood upon the deck/ As the ship went out to sea/ The wind it took the sails/ And left the land a memory”. Le bateau s’éloigne sur une portée d’accords mélancoliques qui introduisent un second couplet méditatif.
“All upon the shore for /To wonder why the sailor goes/ All to close their eyes/ And wonder what the sailor knows”. Puis une triste résignation vient hanter le refrain:
« That is you to them/ That is who they think you are/ Never on the land but sailing by the North Star ».
Mais comme une vague en chevauche une autre, la mélancolie vient recouvrir le refrain d’une douce et pensive mélopée:
“To the Tower and to the Ravens/ And the tale that hopes they’ll never leave/ What if they should go? We always dread to think of them.”
Plus dure sera la chute
Malgré une poignée de chansons splendides, TNSG&TR ne marchera pas. Et la carrière solo de Sandy Denny ne décollera jamais vraiment. Son album suivant, simplement intitulé Sandy, ne rencontrera pas le succès recherché. Trop produit, trop boursouflé, à l’image de la chanson « It’ll Take A Long Time » qui dégouline de soli de guitare jusqu’à l’écoeurement, et d’un « Listen Listen » qui sonne coupablement variéteux. Like An Old-Fashioned Waltz (1973) ne convaincra personne non plus, et Rendez-Vous (1978) est un désastre formaté FM.
En 1980, Sandy Denny mourra d’une hémorragie cérébrale après une chute dans un escalier.
La presse ne se souciera guère de lui rendre hommage. Seuls amis et musiciens verseront dans
la dithyrambe. Robert Plant en fera sa chanteuse anglaise préférée.
Richard Thompson, qui la côtoya toute sa vie, dira qu’il n’a « jamais entendu depuis une chanteuse avec un don pareil…Elle pouvait tendre à un certain hermétisme dans son écriture utilisant des références personnelles ou littéraires qui ne sont pas faciles à décrypter, et dans lesquelles il est difficile de rentrer émotionnellement…Et pour cette raison elle pouvait rebuter l’auditeur. Mais…certaines de mes chansons favorites de tous les temps sont des chansons de Sandy- quelques-unes des meilleures chansons écrites après la guerre. »
Prudence dans les escaliers.
Joe l'trembleur