Discographie

Ecarquillements d’oreilles

 

Octobre 1983. Je suis en seconde ; le cours d’allemand et l’ennui qu’il procure me poussent au vagabondage intellectuel. Je pense à ma copine, au groupe qu’on a formé avec des potes (1)…Mon regard se promène au plafond, erre, vagabonde, vers dehors, vers dedans, sur le dos de ma voisine, sur le dos du prof, sur le dos du voisin et …

… s’arrête sur un curieux emblème peint sur son T.Shirt : un œil énorme surmonté d’un haut de forme. A la sortie du cours, face à mon interrogation, je me verrai répondre par ce type « Tu peux pas comprendre, t’écoutes de la merde », inaugurant ainsi une amitié musicale qui durera 10 ans.

 

Meet the Residents

Or donc, mes premiers pas avec les Residents furent accompagnés, et cela vaut mieux : une musique qui décrasse les tympans à ce point en osant tout, ça ne court pas les rues. Un type qui avait beaucoup de bon sens et qui connaissait son affaire a dit un jour : « il y a deux sortes de musique : la bonne et la mauvaise ». Ce même type aurait pu ajouter les catégories « tellement improbable que c’en est fascinant » ou « inécoutable, mais tellement drôle », comme ça, il aurait fait vraiment le tour de la question.

Objets de répulsion ou de dévotion, les Residents sont sans nul doute les plus beaux représentants de ces deux dernières catégories. Coiffés de haut de forme dans leurs smokings blancs, nos globes oculaires préférés distillent depuis 35 ans une musique, que dis-je, un concept, fait d’hommages satyriques et violents à la culture populaire du siècle dernier. Joyeux assassins de la culture convenue, « officielle », les Residents massacrent avec affection. Chants inuits (2), Jazz (3), Gershwin (4), Michaël Jackson (5), tout est bon pour allonger la liste des victimes (6). La poésie de leur musique, mélange de pop, d’orchestrations symphonico-synthétiques et de bruit emmène l’auditeur dans un voyage partagé entre rires, rêveries, et grincements de dents.

 

Et en plus, ils sont organisés !

Forts de leurs intentions destructrices, nos amis San Franciscains poussent leur système dans ses derniers retranchements. Planqués derrière leurs yeux, en smoking blancs, ils provoquent les rumeurs (Zappa, Captain Beefheart, Fred Frith, auraient fait partie du groupe) et en jouent avec délectation. Le graphisme réalisé par des cartoonistes sous LSD, les titres des albums (7), les clips déjantés viennent fournir les clés de la compréhension de leur musique, et en font un ensemble cohérent. Au sein du label maison, Ralph Records, ils donnent l’opportunité à des groupes souvent intéressants et jamais banals de s’exprimer en toute liberté. Ainsi, le 1er 45 tours de Yello, quelques albums de Tuxedomoon y voient le jour (8). Le guitariste Snakefinger, par ailleurs auteur d’excellents opus, participe à de nombreux projets. Sa mort prématurée en 1987 sonne le glas de la période la plus intéressante, le groupe s’orientant vers une musique plus électronique, plus policée. Franchement, votre serviteur n’a pas écouté le dernier album…

Mais au fait, me direz-vous, pourquoi parler maintenant des Residents ?

Un DVD rétrospectif de tous leurs clips est sorti l’année dernière et j’avais envie d’en faire l’article, 20 ans après avoir écarquillé les yeux et les oreilles sur la reprise de « It’s a man’s man’s man’s world ».

En conclusion, je dirais à ceux qui n’ont jamais fait l’expérience de cette écoute extrême, que si un jour envie leur prend d’écouter de la musique underground, riche, avec du vrai beau concept dedans, qu’ils ne cherchent pas : c’est chez les Residents que ça se passe.

 

 

 

(1) N’insistez pas, vous n’aurez pas le nom de ce groupe !

(2) Eskimo

(3) The tunes of two cities Ralph, 1982

(4) George and James Ralph 1984, Hommage à Gershwin et James Brown

(5) Kaw Liga, version très alternative de « thriller »

(6) Dans le désordre : Elvis Presley, Ray Charles, Les Rolling Stones, Beethoven, Hank Marvin !

(7) The third Reich’n’roll, The commercial album (40 spots d’1 minute)

(8) Tuxedomoon : Half-Mute 1979 – Desire 1981

Citons d’autres artistes de l’école Ralph Records : Renaldo and the Loaf, Club Foot Orchestra, Fred Frith

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