Après le peuple du blé noir, poursuivons notre tour du monde à la découverte des sociétés secrètes. Louvoyant toujours entre anthropologie, mauvaise foi et culture-poubelle, Le Rennet vous emmène entre Rhône et Saône, à la rencontre des descendants de Guignol.
A l’opposé de la frénésie qui caractérise généralement les habitants des grandes villes, le Lyonnais est un individu paisible qui sait se payer du bon temps. Fermement accroché à ses traditions, il fête la nouvelle année en avance, le troisième jeudi de novembre, au moment de l’arrivée du beaujolais nouveau. Fraise ou banane, là n’est pas la question, l’essentiel est bien de vider des pots* entre gones* ! Quelques jours plus tard, la Fête des Lumières est l’occasion de s’en remettre une derrière la dalle, souvent aussi inclinée que les pentes de la Croix-Rousse. Fête pieuse à l’origine, le 8 décembre est aujourd’hui célébré par toute une foule hétéroclite d’étudiants, familles, enfants et autres touristes de passage qui se rincent le corgnolon* à l’ombre des traboules*. Son succès se mesure à l’aune des litres de vin chaud servis aux dizaines de milliers de fidèles emmitouflés, que les effluves alcoolisés qui se dégagent de la froidure hivernale font plus nombreux chaque année. Seules les illuminations sur les immeubles et dans les rues confèrent encore à cette gigantesque beuverie organisée un semblant de respectabilité et d’authenticité catholique. Car malgré son penchant séculaire pour la piave*, le Lyonnais reste attaché à la tradition religieuse de sa ville.
Mais plus encore que la basilique de Fourvière ou la primatiale Saint-Jean, ce sont les tripes, l’andouillette, la rosette et le gras double qui font la réputation lyonnaise. Quoi de plus appétissant en effet qu’une grande assiette de charcuterie bien grasse pour accompagner le Côtes* local ? Adepte à ses heures d’une alimentation saine et équilibrée, le Lyonnais ne se fait pourtant pas prier pour déguster saucissons briochés, gratons, tabliers de sapeur et autres rondelles de cervelas dans les petits restaurants typiques du Vieux Lyon. Ces bouchons, puisque c’est ainsi qu’on les désigne, donnent par leur menu tout son sens au proverbe local « mieux vaut prendre chaud en mangeant que froid en travaillant ». La méfiance est cependant de rigueur : jouant sur la corde « capitale mondiale de la gastronomie », de prétendus maîtres-queux qui n’ont du véritable chef que la moustache tombante font parfois honte à la réputation si durement acquise grâce aux efforts de Bocuse et consorts. En poussant la mauvaise porte, le profane risque fort de se voir servir les restes du poulet de la veille en guise d’émincé de volaille…
Contrairement à ce que pourrait faire croire un raccourci aussi trompeur que (bon) vin + (bonne) chère = grande gueule, le Lyonnais est un individu modeste et discret. Sévèrement pastiché par Pagnol à travers le personnage de M. Brun, il n’a pourtant rien du pleutre insipide de Marius. Il préfère, à l’opposé du méridional hâbleur et fier-à-bras et du parisien condescendant, parler avant d’agir, et réfléchir avant de parler. Cette quiétude apparente se trouve parfois contredite par son penchant naturel pour la contestation, héritée en droite ligne des révoltes des Canuts des années 1830, qui font la gloire de la ville, au même titre que les heures héroïques de la résistance contre l’occupation allemande pendant la deuxième guerre mondiale. Pas étonnant, donc, que devant Bocuse, Herriot, Juninho ou les 6 Compagnons, le personnage le plus célèbre de la ville soit un petit empêcheur de tourner en rond, dont on fête en 2008 le bicentenaire. De là à dire que le Lyonnais est un Guignol, il n’y a qu’un pas… que je ne franchirai pas !
Votre dévoué, Gnafron Jacquelin
« On fait toujours plaisir aux gens en leur rendant visite : si ce n’est pas en arrivant c’est en partant ».
Lexique
Pot : bouteille de 46cl à fond épais
Gone : gamin
Corgnolon : gosier
Traboule : passage typiquement lyonnais à travers des cours d’immeuble qui permet de se rendre d’une rue à une autre rue parallèle
Piave : toute boisson contenant de l’alcool
Côtes : Côtes du Rhône
AU TEMPS POUR MOI, pas « Autant pour moi » (SIC!).
C’est une expression musicale signifiant le retour « au temps » (donc au début d’une mesure) pour un musicien ayant commis un canard ou merdé kelke part.
Salut.
Autant pour moi, je comprends mieux maintenant ! Je vous pardonne bien naturellement cette confusion !
Autant pour moi, je croyais que vous faisiez référence au poète Leandro Ambrosio Juninho e Acaravez, auteur de « Sereia e Napeleone », qui a séjourné à Lyon en 1892. Etant donné le renom dont jouit ce poète dans les cercles raffinés, la confusion est toute naturelle.
Merci pour vos éloges cher Horseface ! Si je puis me permettre, il y a pourtant une mention footballistique : Juninho qui est un joueur de l’OL est probablement l’un des lyonnais contemporains les plus connus en-dehors des frontières françaises, au grand dam de mon ami Guignol…
Enfin un article sur Lyon qui ne comporte pas de jeu de mots pourri du genre « un appétit de Lyon » ou « le roi Lyon » comme ne peuvent s’empêcher d’en écrire tous les scribouillards à deux balles de France et de Navarre. Ohé, les nazes, ça a été fait un million de fois déjà!
Point de mention non plus de ce sport débile auquel les joueurs de Lyon excellent, parait-il.
Merci Gnafron!