Notre époque 2.0, tel un petit jardinier affairé, cultive le zapping comme un carré de mauvaises herbes en plein Versailles. Moins il s’occupe de son jardin, plus celui-ci se transforme en jungle, nous obligeant à avancer coûte que coûte, à grands coups de décodeurs et de sens critique, à travers l’enchevêtrement de symboles, signes, publicités et autres visuels qui composent désormais notre paysage.
Tenez, par exemple… cet homme de profil. Son menton est posé sur sa poitrine, ses yeux sont clos. Un mince filet de sang s’écoule de son front. On voit que s’il pas encore mort, il vit ici ses derniers instants.
Cette image, placardée depuis quelques jours, est l’affiche du second et dernier volet du « Mesrine » de Jean-François Richet, avec Vincent Cassel. Sans doute réalisée avec brio par une agence spécialisée, cette représentation du malfrat opère un mélange très contemporain de vile démagogie et d’érection de symbole à balles deux. Au delà d’un simple plaisir esthétique primaire, on ressent comme un malaise face à ce Mesrine iconique. Certes, « l’ennemi public numéro un » avait bien des aspects romanesques, et il en cela digne d’un Cartouche ou d’un Robin Hood. Mais qu’on veuille nous le présenter comme une figure christique, tel un Jésus superstar des
années soixante-dix, sacrifié sur l’autel de la société (« cette grande broyeuse d’individus »), c’est un peu comme si on demandait à Trust d’interpréter une cantate de Bach.
Le graphiste est un artiste de la manipulation des codes et des masses. Celui qui a réalisé cette affiche avait probablement regardé celle du film de Mel Gibson sur la vie du Christ. En cela, son image nous promet un spectacle fait de sacrifice, de sang et de larme… la promesse d’un bon film, en somme.
Notre époque adore le mélange de genres, les ruptures de tons et la confrontation des symboles. Toscani, pour l’affiche d’Amen de Costa–Gavras, introduit cette confusion (que certains trouvent encore choquante), non pour transporter le spectateur vers une promesse, mais bien pour faire sens.
Cette tendance de fond, aussi loin que ma mémoire remonte, était déjà apparue dans les années quatre-vingt, quand les amateurs de Mondrian ont piqué des syncopes en voyant leur maître réduit au statut de faiseur de motifs pour une célèbre marque de gel coiffant.
Plus récemment, on a pu regarder les éxégètes de Picasso se jeter du haut des ponts suite à la visite du mondial de l’automobile… Mais revenons à Mesrine dont la représentation est ici plus sournoise. L’utilisation sans vergogne de codes qui renvoient à près de 1 500 ans d’histoire de l’art, juste pour vendre des places de cinoche à 10 €, semant une fois de plus au quiproquo historique et culturel, participe au grand gloubiboulga ambiant, réduit l’acte graphique (communicant) à un « truc ».
Un citoyen reçoit en moyenne près de 3000 incitations publicitaires par jour; pour nous, il s’agit désormais d’ouvrir l’œil. Et le bon!
Jean Lerond
Il y a communicant et communicant… quand on voit la bande de bras cassés qui se sont auto proclamé « conseiller en communication » les dernières années… Ahahah, on en rigole et ces usurpateurs gagnent des sousous. Combien de temps?
C le monde d’ajrd’h c a d de la consommation a outrance et des campagnes de pubs « déteriorant » une bonne partie de nos villes et bien heureux celui qui ne tombera pas sur une affiche publicitaire ou un spot de pub en se promenant en ville devant son écran de télé ou son moniteur .
ben oui, et la ville de rennes nous empoisonne le regard avec ses campagnes de photos de commerçants… de la publicité bien déguisée sous des abords artistiques, placardée même sur la mairie… est ce que le nouveau maire fait partie du carré rennais?