Discographie

Karmitz et Bananaticoco

Il est de notoriété publique que le nippon est curieux de nature. Son goût pour les porte-avions, pour les monstres en caoutchouc mou issus de ses névroses post atomiques…

…ou pour les robots anthropomorphes capables de se transformer en camions de pompiers ou en lampadaires prouve que l’esprit du nippon est alerte et que ses intérêts dans la vie sont multiples.

Je m’en suis encore rendu compte lors d’une de mes dernières conférences que je donnai au Japon : c’étaità l’université de Kyoto, sous un ciel de juin; il flottait dans l’air comme une petite odeur de lilas et la conférence traitait des merveilles sonores querecèlent parfois les petites galettes de vinyl que l’on nomme plus couramment les «45 tours ». À la fin de mon exposé je fus assailli de questions par ces valeureux fils du Soleil Levant : « Mais qu’est-ce exactement qu’un 45 tours? » « La musique qui s’y cache est-elle toujours à la hauteur de la pochette etvice-versa? » Sans oublier bien entendu la question cruciale « Mais bordel de merde où peut-on trouver ces trésors incomparables sans lesquels la vie ne vaut pas la peine d’être vécue? »… Touché par l’intérêt que j’avais suscité chez ces samouraïs de l’enthousiasme, je tentai de répondre à leurs questions et leurs attentes avec le maximum de concision et de précision et c’est exactement ce que je me propose de faire pour vous dans cette petite rubrique du 45 tours magique…Nous commencerons donc comme il se doit avec un pur joyau. Il s’agit de la bande originale du film « Camarades », réalisé en 1969 par marin Karmitz et dont la musique est signée par les improbables jackie Moreau et sylvain Gaudelette. À première vue la pochette ne laisse rien présager de bon : on y voit des prolétaires en bleu de chauffe, l’un d’entr’eux(probablement déjà aviné) pousse péniblement sa vieille brêle pourrie de type 102 Peugeot vers une grille implacablement fermée… Bref, rien d’excitant à espérer de ce côté-çi. Mais de l’autre, alors là, pardon! Qu’apercevons-nous de nos yeux tout exorbités? Que l’un des cinq morceaux figurant sur ce disque s’intitule « Paris Pop ». Un morceau intitulé « Paris Pop » ne peut pas être franchement mauvais, c’est une règle! La preuve : une fois l’aiguille de votre pick-up posée sur cet incomparable chef d’oeuvre, vous vous effondrez en larmes, brisé par l’émotion. Imaginez Morricone s’essayant au psychédélisme. Imaginez un rythme répétitif qui monte, qui monte et qui ne s’arrête jamais. Imaginez des guitarestorturées à l’eau bouillante qu’on laisse rouiller sur un chantier pendant trois mois et que l’on fait jouer ensuite par des musiciens classiques imbibés d’éther. Ajoutez une flûte à la Jethro Tull mais sans la barbe ni les cheveux et vous obtenez un morceau très lourd, magnifique et inquiétant : tel est « Paris Pop »…

La face B de cette exceptionnelle rondelle de plastiques’ouvre sur « City Gaz Room », un morceau qui n’ajamais vu un arbre et qui respire difficilement à cause de toute l’amiante accumulée. Le chanteur, d’origine lorraine, utilise un anglais approximatif appris dans une caravane et d’ailleurs il ne chante pas : il suinte, il coule tout seul, il se liquéfie pendant trois minutes et à la fin il est probablement froidement abattu dans les vestiaires. On entend plusalors que le son obsédant du piano qui rappelle étrangement le Gainsbourg du début des années soixante-dix, rien de moins… Et que dire enfin de ces petites perles nostalgiques que sont « Ballade Saint-Nazaire » et « Ballade Paris »? Rien! Il ne faut rien dire mais s’incliner! Se laisser lentement envahir par ces mélodies empoisonnées… Mieux qu’une expérience mystique ou qu’un stage de six mois chez Citroën, ce 45 tours est à se procurer de toute urgence.

 

 

 

Autre petit bijou, « Brazil Rytms » est lui tiré du film : « Brésil paradis de l’aventure », documentaire sur les moeurs absolument déplorables des peuplades sauvages qui vivent encore à l’âge de pierre au coeur de l’Amazonie. Le premier morceau « Bananaticoco », sensé illustrer le culte païen de quelque banane sacrée, aurait pu être écrit par un insecte. Mais pas n’importe lequel : un gros. Avec un abdomen rempli d’air, des poils éréctiles et plusieurs paires d’ailes qui se frottent entr’elles à la vitesse d’un train électrique. « Bananaticoco » ne ressemble à rien de connu de ce côté-çi de l’hémisphère. C’est de la bouillabaisse infernale, un mélange hétéroclite de percussions tribales, de guimbarde, de cruche à eau empruntée au Thirteen Floor Elevators, de rires sardoniques sortis du gosier râpeux d’un vieux sorcier arumbaya et d’un instrument non déterminé mais qui produit le même son qu’un synthétiseur Yamaha. C’est étrange, superbe et pour tout dire indispensable.

Quant à la face B, c’est un peu différent. « Dança do Pica-Pau » va en effet beaucoup plus loin question épouvante. À la première écoute, lorsque la guitare, la flûte et les crécelles arrivent, on se croirait dans un Western où les cowboys auraient été remplacés par des zombies. Et puis survient LA VOIX! On ne sait pas si c’est un moine tibétain, Allen Ginsberg psalmodiant un de ses insupportables délires hippies ou le Grand Macumba en personne venu vous manger votre âme. De toutes façons, à ce moment précis, vous êtes déjà tétanisé par la terreur et vous ne pouvez rien faire d’autre que subir les cinq minutes et quarante secondes que durent ces sonorités d’outre-tombe. Et le pire est qu’à la fin du morceau, une force maléfique vous pousse à vouloir le réentendre, jusqu’à ce que la folie vous gagne et que le mince filet de bave que vous aviez déjà à la commissure des lèvres se transforme en épaisse écume noirâtre. Devenu complètement dément après trente-six écoutes consécutives, vous n’aurez plus d’autre alternative que de vous jeter sous les roues du premier « 16 Tonnes » venu. Attention, mesdames et messieurs, il y a de l’ectoplasme dans ce morceau!

Petites natures s’abstenir.

1 Commentaire pour “Karmitz et Bananaticoco”

  1. debout jacques dit :

    excellente chronique… j’ai bien ri… ce qui arrive de moins en moins avec « les revues rock du commerce » ! Ai découvert le site aujourd’hui via la page consacrée à Heavy Trash (signée Joe l’Trembleur… à médailler d’urgence ce Joe, à embaumer dès maintenant au Rock’n’Roll Hall of Fame, avant qu’il ne faiblisse ou vieillisse !)Bravo continuez

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *