Souvent visuel égare… Un bob, des narines et une moustache sur fond de soleil couchant kitschos… Et c'est pire au verso! Teinte picrate, faciès de braconnier du Dakota tire-à-vue… L'apologiste médiocre des stridences Radioheadesques se gausse: « le vilain chasseur poivrot! », ignorant le héros de la contre-culture derrière l'allure d'étrangleur de cerf.
Voilà quand même un homme qui a joué avec les Byrds à Monterey et avec Graham Nash, Stephen Stills et Neil Young à Woodstock… Un homme qui a co-signé « Eight Miles High » (avec Clark et McGuinn) et écrit « Almost Cut My Hair », deux chansons parmi les plus emblématiques de l'aventure hippie. Un vétéran de la gueule de bois qui, en 1971, ne se rappelle même plus comment il s'appelle… Mais peu importe. Les noms sont des mots et les mots ne sont que des mots. Des paroles cachant la ramure délicate de l'émotion… Crosby l'a bien compris qui n'alourdit pas ses subtils mélismes avec trop de sens. À l'exception notable de « Cowboy Movie », longue jam narrative empesée, l'homme verbiage peu… Pour autant sa voix est omniprésente, qu'il fredonne doucement sur une série de rêveries légères (« Song With No Words Tree With No Leaves »; « Tamalpais High (At About Three) ») ou qu'il entonne des incantations grégoriennes (« Orleans ») ou gothiques (« I'd Swear There Was Somebody Here »).
L'économie de paroles traduit par ailleurs le respect du musicien pour les musiciens. « IICORMN » bénéficie en effet des petits soins de moult sommités folk et psychédéliques: Jerry Garcia et Phil Lesh du Grateful Dead, l'ami Graham Nash, Neil Young, Joni Mitchell, le Jefferson Airplane en presque totalité, Michael Shrieve de Santana… Forcément, avec cette profusion de timbres, le disque verse çà et là dans les mantras polyphoniques, tels ce « Music Is Love » d'ouverture ou « What Are Their Names » en deuxième face- un morceau dans lequel, en abîmé du flower power, Crosby se demande qui sont ces gens qui gouvernent son pays et où ils habitent: si seulement il pouvait leur tomber dessus ! Mais si convaincante soit sa rancoeur, c'est dans la contemplation défoncée d'une ballade cosmique comme « Laughing » que le talent de compositeur de Crosby chatoie de tous ses feux psychotropes. Ce n'est pas une chanson, c'est un buvard.
Tristement ignoré en Europe, If I Could Only Remember My Name mérite amplement de figurer dans toute collection qui se respecte aux côtés des grands albums de la sainte clique du folk sortis la même année (Songs For Beginners de Graham Nash et Harvest de Neil Young). Ce qui n'est pas peu dire.
Francis Torpedo
Amicale Lycanthropique du Mont-Cenis