Les sociétés secrètes

Le lundi de Pâques, c’est comme un dimanche où tous les agneaux s’appellent Pascal.

Fortement endoctriné par l'aspect faste des fêtes de Pâques de mon enfance, je revis encore aujourd'hui ce curieux mélange d'odeur d'encens de Bethléem et de chocolat fondu sur les doigts, du parfum capiteux de Tata Yvonne, de retour d'un pèlerinage annuel à Lourdes, me glissant entre les mains une gourde en plastique ornée de bondieuseries et remplie d'eau bénite. Pâques, pour moi, c'est encore aujourd'hui la sainte Trinité: Eglise/Chocolat/Kitscheries.

Le lundi de Pâques, c'est la saint Kitsch en robe de bure. Les oeufs décorés remplis de liqueur, les lapins nains au cacao de synthèse et le carillon des cloches détiennent une puissance mièvre et kitsch capables de faire fondre toutes les icônes de Jean Paul II. Et encore! On ne parle même pas de la bénédiction Urbi et Orbi et de sa flamboyante dévotion enchristianée dans une boule à neige. Le lundi de Pâques, c'est le meilleur moment pour se visionner une fraction de la vie de Sissi tout en dépoussiérant sa collection de teckels en porcelaine.

Bref, c'est dans ce lamentable état d'esprit que me trouve mon ami Joe le Trembleur, ou du moins son message: "C'est Pâques. J'écoute les Monks. Orgue de messe, vocalises du Tyrol, accords stridents, beats psychotiques. Jésus, que c'est bon!" Ce salaud est un alchimiste. Il a réussi à transfigurer le gigot d'agneau Pascal, la communion se transforme en jerk névrotique, les Saintes Fumées en douces vapeurs psychédéliques, les grandes orgues en Farfisa Compact, les moines en Monks… Je m'imagine le mécréant, trémulant sur son linoléum, la bave aux lèvres, s'enfilant de la musique garageuse au kilomètre alors que les ouailles en appellent à la tonsure. Je me console comme je peux, me référant au Dieu Count Five, psalmodiant les saintes écritures selon Saint Ferrer, entamant le chemin de croix d'Arthur Brown… mais rien n'y fait.  Aux grands maux les grands remèdes! Le 33 Tours des Seeds m'apportera la délivrance, le super Mojo des jours fériés. Que dalle, le prêcheur Saxon délivre sa prophétie "Nowhere to run and nowhere to hide
I can't kill this bad pain inside… No escape! No escape
!"

Je suis livide. L'esprit sain de Pâques a marabouté  mes disques et me nargue, m'apportant d'amers mirages sonores, telle cette acide fuzz sonnant comme un carillon de chocolatier belge. Pris de panique, j'envisage déjà de déplacer mes Nuggets au centre d'un pentagramme ou d'en confier la garde à un haïtien albinos.

La fin de cette journée Pascal me surprendra devant "les jeunes années d'une reine", un pot d'Häagen-Dazs double chocolat à la main. Pendant ce temps là, dehors, les cloches sonnent aux fidèles.

Signe des Temps, il faudra attendre encore longtemps avant la séparation de l'Eglise et de notre état.

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