Le drone n'est pas qu'un engin téléguidé permettant de dézinguer sans distinction ennemis de l'Amérique et civils poissards. C'est également un genre de musique basé sur la vibration lente et continuelle de motifs courts, susceptibles d'être exécutés par les doigts gourds d'un lanceur de marteau bulgare. À en croire les magazines, les champions du drone des années 2000 seraient un groupe d'Austin, Texas, appelé The Black Angels.
Feyzin, 20 bornes au sud de Lyon. Putain l'ambiance. Raffineries lugubres, puanteur pétrochimique et lotissements éteints. Le bled glauque. C'est donc là qu'il faut aller si on veut voir du rock en région lyonnaise? C'est là en tous cas qu'on est venu vérifier la rumeur entourant ces « anges noirs ». D'après The « Black Angel's Death Song » du Velvet, paraît-il. Ach, le Velvet Undergound! Eux avaient percé les arcanes du drone. Le naufrage de l'Exxon Valdez proposé par les Black Angels n'a aucune légitimité à se réclamer de la magie noire nimbant « The Black Angel's Death Song ». Puisqu'on en est à piocher dans le répertoire du Velvet, « I Can't Stand It Anymore » résume adéquatement la déception éprouvée lors de ce triste concert. En vérité ces prétendus emplumés célestes m'ont fait penser à des mouettes dolentes empêtrées dans le merdier gluant de l'Amoco Cadiz (BP pour les plus jeunes, mais ça sonne moins bien en bouche).
Alors soit, le premier morceau fait la joie des ouïes et des mirettes. Le groupe joue fort; la demoiselle en marcel derrière la batterie ne se contente pas d'être accorte, elle tatane aussi les fûts de belle manière. Le spectacle de ses bonnets B-dièse remuant dans son débardeur sur un midtempo de trois tonnes me convainc de demeurer quelque peu. Mais très vite, les riffs bas et lourd se mettent à peser comme un couvercle sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis. On se fait chier, diraient les adeptes du « parler vrai ». Les musiciens mêmes ont l'air de s'emmerder. C'est sûr que jouer sempiternellement des trucs de deux accords au ralenti pendant une heure et demie pendant des semaines et des semaines de tournées, ça doit s'avérer aussi palpitant à force que le métier de soudeur. Tenez, le blondin à la guitare, là, il a tout à fait la mine du quidam qui est en train de se demander s'il digère bien le gratin dauphinois. Le chant est à l'unisson des guitares- monotone, dépourvu de la moindre inflexion, indiscernable.
Le problème avec les groupes lents et répétitifs, bêtement, c'est qu'ils sont lents et répétitifs. Voilà un genre de musique fait pour être subi, et puis s'en va. Les Black Angels dressent un mur de son inexpugnable entre eux mêmes et le public. Pas la moindre ouverture par laquelle rentrer dans leurs chansons. À la rigueur, un joueur de squash qui aurait pensé à amener une balle et une raquette aurait pu s'occuper un peu en jouant contre ce foutu mur de son. A voir les airs des gens qui m'entourent, je me dis que la salle est pleine de squasheurs dépités. Même le plus sinistre fan de Bauhaus présent donne l'impression de crever d'envie de jouer à la raquette sur la plage. Cette frustration est imputable, m'est avis, à un artifice subliminal pas très malin. En effet, les rockeurs du soir ont fait jouer « Good Vibrations » des Beach Boys juste avant d'entrer en scène, dans le but d'en prendre tout de suite le contrepied en entamant derrière le « Bad Vibrations » de leur dernier album. Sale idée- le chef d'oeuvre de Brian Wilson regorge de tout ce dont leur pénible drone manque cruellement: de la fantaisie, une dynamique, des mélodies. Rideau!
Joe L'Trembleur
incognito en la capitale des Gaules