« Avoir la haine du bourgeois est le début de la vertu ». Cet adage ô combien plein de bon sens trouve pleinement sa mesure à la lumière de nos grands auteurs.
Rassurez-vous, je n’ai pas l’intention de vous bassiner avec des vieux restes de mon bac de français ; j’ai passé l’âge et vous aussi sans doute… Parler par exemple de Gustave Flaubert dans les colonnes rock’n folkiennes de Rennet peut sembler de prime abord la chose la plus iconoclaste qui soit, ou la plus réactionnaire… Détrompez-vous : Flaubert a manié la plume comme Charles Ingalls sa hache, taillant des costards à ses congénères, pointant du doigt leur bêtise, leurs conventions et leur mépris de la France d’en bas, maniant la langue comme un grand couturier du foutage de gueule.
Tenez, le Dictionnaire des idées reçues. Minuscule ouvrage de 11,5 par 18 cm, un vrai condensé d’une pensée bourgeoise que l’on pourrait croire du 19e siècle, mais qui garde tout son sens aujourd’hui. Le principe en est simple : chaque mot de ce dictionnaire est suivi, non pas de sa définition, mais de ce qu’il convient de penser ou de déclarer en société. Il s’agit donc là d’un répertoire encyclopédique des préjugés des contemporains de l’auteur, une vraie perle d’humour vache, qui lui servit en son temps à la préparation de Bouvard et Pécuchet…
On y apprend notamment que « les brunes sont plus chaudes que les blondes », que « les Bretons sont tous braves gens mais entêtés », le lynx « un animal célèbre pour son œil », qu’il est toujours bon de louer l’Amérique, « surtout quand on n’y a pas été », que la « mandoline est indispensable pour séduire les Espagnoles »…
Bref, tout un ramassis de lieux communs prêts à penser qui réjouira le lecteur s’il le garde à son chevet, et lui permettra de déceler en chacun de ses congénères sa propension à envahir l’espace verbal de phrases toutes faites.
A l’inverse mais tout aussi hilarant, le sommet de contre-culture qu’est Le dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement est un ouvrage cultissime. Fruit de 14 années de travail acharné, ce livre publié en 1965 par Jean-Claude Carrière et Guy Bechtel compile et répertorie sans vergogne les plus grosses âneries jamais écrites. Véritable acte de résistance, il donne au lecteur la vision d’un monde où l’absurde est roi, où le simple d’esprit gagne son ticket à la postérité, où le grand littérateur devient le dernier des imbéciles… En parcourant cette somme, on se prend d’affection pour le benêt qui passe sa vie à essayer de comprendre le chant d’amour du rossignol, le couillon qui prétend avec aplomb qu’Adam et Eve étaient d’origine bretonne ou encore le clairvoyant esthète qui voit dans l’art japonais un pur fruit du hasard….
Bien sûr, les sources sont très variées : des Trois mousquetaires au Manuel du gradé d’artillerie lourde, Le moniteur vinicole ou les Propos de table de Plutarque, tous les articles s’enchaînent, passant du coq à l’âne, pour le plus grand bonheur du lecteur.
Pourquoi, me direz-vous, s’acharner à sauver de l’oubli ces englués du bulbe ? Tout d’abord pour des raisons historiques. Sait-on encore que Victor Hugo avait pour rival, non pas Lamartine ou Chateaubriand, mais Viennet ou Baour-Lormian ? Que Victor d’Arlincourt était plus connu de son vivant que Stendhal ? Les progrès de la pensée humaine sont faits de circonvolutions, de tâtonnements et forcément, la logique de l’histoire qui nous est donnée aujourd’hui est faite en réalité de ratages monumentaux, d’intuitions aberrantes, de jugements hâtifs et de quelques traits de génie.
Ensuite par ce que les auteurs, au delà de la franche marrade qu’ils ont dû connaître, se sont pris d’une vraie tendresse pour ces auteurs passés à la grande trappe de l’Histoire. Bien entendu, Il serait sans doute vulgaire et prétentieux de leur part de passer tant d’années de recherches simplement pour se gausser, se moquer et adopter une attitude suffisante. Non, Il y a de la contestation là dedans, du militantisme, du combat contre la pensée unique !
Tiens, à propos, en ces temps où l’on entend certains parler de « rupture tranquille » et d' »ordre en mouvement », en cette période où l’aspartame est préféré au sucre, le déca au café, la light au petit gris, chacun pourrait se créer son propre dictionnaire et définisse son propre périmètre de mesure de la connerie ambiante… Comme ça, au moins, à force de tâtonner et de s’égarer, on finirait peut-être tous par faire des progrès !
Dictionnaire des idées reçues, Gustave Flaubert – Mille et une nuits – 1,90 €
Dictionnaire de la bêtise, Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière – Robert Laffont – 10,86 €
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Sorry, but what is kimerikas?
Jane.