Cinéma

Jesus Camp… Ah! Les jolies colonies de vacances

En 2006, on a fait maint film autour de trépas peu ragoûtants : éventrations, écartèlements, et autres jaillissements de créatures des tréfonds intestinaux. On ne s’est que vaguement embarrassé de la notion de script, puisque les études de marché ont prouvé que le public s’en contrefoutait, du moment que ça gicle.

En 2006, on a fait maint film autour de trépas peu ragoûtants : éventrations, écartèlements, et autres jaillissements de créatures des tréfonds intestinaux. On ne s’est que vaguement embarrassé de la notion de script, puisque les études de marché ont prouvé que le public s’en contrefoutait, du moment que ça gicle. On s’est donc contenté, dans une large mesure, de reprendre les nanars des années soixante-dix et de multiplier les démembrements. « Massacre à la Tronçonneuse », « Hitcher »… Outre les seventies fécondes, on a aussi pillé du côté du Japon ; c’est ainsi que le très angoissant « Kaïro » est devenu le minable « Pulse » et qu’on a réalisé une suite à « The Grudge », avec le même bambin aux cheveux gras.

On a ressorti un peu le Malin avec « The Omen », autre remake honteux d’une daube qui prétendait exploiter le succès de l’Exorciste.  

Mais en ce qui me concerne, le film le plus terrifiant de l’année passée, celui dont les effets nauséeux sont les plus persistants, ce film choquant-là est un documentaire intitulé « Jesus Camp ».

« Jesus Camp » de Heidi Ewing et Rachel Grady nous plonge dans l’univers assez particulier des évangélistes américains. On suit avec effarement le lavage de cerveau de trois enfants croquignolets : Lévi, 12 ans, le « guerrier de la prière », Rachael, 9 ans, la prosélyte exaltée et Tory, une dynamique jeune fille de 10 ans passionnée de Heavy Metal chrétien.

Cet été-là, ces trois marmots, comme une centaine de jeunes enfants de bonne famille, sont pris en charge pendant un mois par une bande de fanatiques dans un camp du Dakota du nord. A la tête du programme, la bonne femme la plus inquiétante de l’histoire du documentaire : Becky Fischer. Une grosse poule au regard fou et à la rhétorique militariste.

Pour la soutenir dans son entreprise de recrutement pour l’armée de Dieu, des parents créationnistes et un militant anti-avortement à l’allure de Henri Dès illuminé.

Ces gens-là parlent « dans les langues », c’est-à-dire qu’ils entrent en transe en confabulant un langage mystique, mains tendues vers le ciel. Forcément, ce genre de spectacle porte sur les nerfs des gosses, qui, ébranlés, pleurent, crient, sont pris de convulsions – et les parents, extatiques, se félicitent de ces manifestations de l’esprit sain.

S’il faut en croire une des personnes sensées intervenant dans le film, ces évangélistes radicaux seraient environ 80 millions aux Etats-Unis. Soit la population de l’Allemagne ou du Royaume-Uni. Tremblez, mécréants.

Illustrant les enjeux politiques liés à cette forte démographie religieuse, le film s’ouvre sur la nouvelle de la démission de Sandra Day O’Connor, juge de la Cour Suprême aux vues modérées, que la droite religieuse américaine souhaiterait voir remplacée par un juge conservateur proche de George Bush Junior.

On enchaîne sur une scène effrayante: des enfants en pantalons kaki et rangers, maquillés comme un commando de G.I.s, exécutent une chorégraphie martiale sur une chanson à la gloire de Dieu. Arrive Becky Fischer. Pendant toute l’heure et quart de film restante, Becky Fisher et ses fervents coévangélistes n’auront de cesse de répéter aux jeunes ouailles qu’ils sont une génération élue, que la fin des temps approche, et qu’ils sont en guerre.

Le champ lexical de leurs prêches est un champ de bataille féroce : « si on regarde la population du monde, un tiers de ces six milliards sept-cent millions de gens sont des enfants de moins de quinze ans. Un tiers ! Où devrions-nous placer nos efforts ? Sur quoi devrions-nous nous concentrer ? Je vais vous dire où nos ennemis les placent, ils placent leurs efforts sur les gamins. Ils vont dans les écoles. Vous allez en Palestine, et je peux vous montrer un site Internet qui va vous remuer profondément, et vous montrer des photos des camps dans lesquels ils entraînent leurs enfants, comme nous nous emmenons nos enfants dans des camps de la Bible, et ils mettent des grenades dans leurs mains, ils leur apprennent à mettre des ceintures d’explosifs, ils leur apprennent à utiliser des fusils, ils leurs apprennent à se servir de mitrailleuses. Pas étonnant, avec ce genre d’entraînement, que ces jeunes gens soient prêts à se tuer pour la cause de l’Islam. Je veux voir des jeunes gens qui sont autant commis à la cause de Jésus-Christ que les enfants qui sont commis à l’Islam. Je veux les voir déposer leurs vies aussi radicalement pour les évangiles qu’ils le font au Pakistan, en Israël, en Palestine, et dans tous ces différents endroits, parce que, pardon, mais c’est nous qui avons la vérité. *»

Pragmatique, Becky se sert de peluches et de poupées Barbie pour sermonner les marmots impressionnables. Mais attention, on n’est pas là pour rigoler : « Dans l’ancien testament, on aurait mis à mort Harry Potter !* »

En contrepoint masculin de Becky, on nous présente un infâme Ted Haggard, conseiller « spécial » du président, dont le rictus ignoble et les bondieuseries douteuses ne devraient susciter que le dégoût. « C’est la guerre tous les jours, s’écrie t-il au terme d’une homélie décousue sur les valeurs chrétiennes. Que la bataille commence ! »

Les américains sont des gens d’action. Pourquoi rester le cul dans un fauteuil à lire les évangiles quand on peut être un soldat dans l’armée du Christ ? En Amérique, on aime botter des culs. Frustrés d’avoir été écartés du pouvoir pendant quelques décennies, les évangélistes se définissent aujourd’hui comme des gens en guerre. Une guerre culturelle dont l’enjeu le plus évident serait l’interdiction de l’avortement. « Nous sommes engagés aujourd’hui dans ce qu’ils appellent une guerre culturelle, annonce une voix sur une chaîne de radio chrétienne. Ce n’est pas nous qui l’avons commencée, mais, avec la grâce de Dieu, c’est nous qui allons la terminer. Et nous devrions dire : oui, nous voulons revendiquer l’Amérique pour le Christ.* »

Et la première étape, au moment où est tourné le documentaire, consiste à faire pression pour établir un juge conservateur à la Cour Suprême. A plusieurs reprises au cours du film, on nous assure que le président des Etats-Unis est un « homme vertueux » et « entouré de personnes spirituelles ». A un moment donné, une femme amène une silhouette cartonnée de Bush sur la scène. On demande aux enfants de prier pour que le président des Etats-Unis fasse un choix éclairé dans la nomination du nouveau juge. De fait, et ça ne sera une surprise pour personne, George Bush choisira le conservateur Samuel Aledo.

A plus long terme, il s’agit d’endoctriner les générations futures. Si on prend le jeune Levi comme exemple, les résultats sont impressionnants. A 12 ans, Levi est parfaitement conscient de sa mission de soldat de Dieu : « on nous entraîne pour sortir et entraîner les autres dans l’armée de Dieu, pour qu’ils accomplissent Sa volonté.* » Qui a dit que les jeunes gens ne pensaient qu’à jouer à la console ?

Interrogée sur les raisons pour lesquelles elle cible les enfants, Becky Fischer affirme sans ambages: « comme le savent tous les gens qui travaillent avec les enfants, la raison pour laquelle on recherche les enfants est que tout ce qu’ils apprennent jusqu’à l’âge de 7, 8 ou 9 ans reste gravé en eux pour le reste de leurs vies. […] Vous me demandez si je pense que c’est juste pour les fondamentalistes d’endoctriner les enfants avec certaines croyances. Je pense que fondamentalement, oui, c’est juste, parce que toutes les autres religions endoctrinent leurs enfants. Réveillez-vous ! Je voudrais voir plus d’enfants endoctrinés.*»

L’ennuyeux avec les gens qui croient accomplir la volonté de Dieu ou d’un lapin géant venu d’une autre dimension, c’est que les histoires de desseins supérieurs sont imperméables à la raison. Il faut espérer qu’à l’adolescence, ces enfants sauront s’interroger sur leur éducation. Mais dans une Amérique du 21è siècle où les médias font leur choux gras des inconduites des Britney ou des Paris Hilton, où les programmes de télé-réalité fonctionnent à la mesquinerie humaine, où il n’est question que de consommation, comment s’étonner de cette déclaration du jeune Levi : « Ce monde, tout ce qu’il te propose, c’est des ordures. C’est comme si on te tendait un bonbon. L’esprit sain, c’est de la viande. C’est de la bonne nourriture, mais les bonbons, ils ne font que te rendre malade.*»

Le mouvement revivaliste religieux américain se nourrit de la pourriture de l’American Way of Life. Quels sont les icônes de l’Amérique d’aujourd’hui ? Ne sont-ce vraiment des blondes niaises et un président idiot qui appelle les Grecs les « Gréciens » ?

Si Hewingway, Dos Passos et Fitzgerald représentaient la « génération perdue », alors comment appeler cette génération-ci ? La génération « complètement paumée » ?

 Jo l'trembleur  

   

PS : pour plus de perspectives sur le sujet, lire le très bon « Au Pays de Dieu » de Douglas Kennedy.

   

 * En l’absence de sous-titres français, la traduction est de moi. Elle vaut ce qu’elle vaut.

 

4 Commentaires pour “Jesus Camp… Ah! Les jolies colonies de vacances”

  1. Joe Parkinson dit :

    « Faut pas croire que dans les églises évangéliques on est pas comme ça »
    Hum, je vous prends au mot..

  2. Aude dit :

    ouh! tu as les évangélistes sur le dos maintenant! ça doit être une vraie contre campagne de contre information! J’ai enfin fini par voir le film, je propose qu’on fasse des camps antilibéraux et athées pratiquants pour les gosses! Remarque Le Pen dirait qu’il y a l’éducation nationale pour ça!!

  3. elodie dit :

    coucou!
    Je suis aussi une jeune fille qui fréquente les Eglise evangéliques et j’ai aussi vu la bande annonce et je vous cacherais pas que j’ai eu un peu froid dans le dos…
    bref tous ça pour vous dire que c’est un groupe d’evangéliste… on est pas tous comme ça, nous ce qui nous importe et d’annoncer l’evangile et d’aimer les autres….
    dans ce film faut comprendre qu’ils sont pas très equilibrés…
    bref voilà
    faut pas croire que dans les Eglises evangélique (et pentecotistes surtout, parce que j’ai cru comprendre que ce film parlait de la pentecote) on est pas comme ça !!
    voilà
    que Dieu te bénisse richement
    élodie
    enjoy-chinea.sky’

  4. jaane-z dit :

    Bonjour,

    Je suis une fille de 18 ans et je suis évangéliste. J’ai vu la bande annonce de ce film mais pas le film en entier, c’est vrai que vu comme ça, ça fais super bourrage de crâne. J’approuve pas forcément tout ce qu’ils font dans ce film. Mais je connais les milieux évangéliques et c’est pas partout comme ça. Les personnes sont laissées libres de suivre ou non ce qu’on enseigne.

    Dieu vous bénisse.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *