Discographie

The Pogues: 2è partie… Institutionnalisation

 1987. Signe de leur institutionnalisation, les Pogues réinterprètent « The Irish Rover » (un classique du folklore irlandais) avec les Dubliners (vénérables birbes de la musique traditionnelle d’Erin). Entre les concerts, leur prestation dans le film « Straight To Hell » d’Alex Cox et tout ce qui participe du méchant boxon rock, les Pogues trouvent le temps et l’énergie de fomenter leur troisième album et plus grand succès discographique.

Produit par Steve Lillywhite, « If I Should Fall From Grace With God » sort en 1988. Il se hisse en peu de temps à la 3è place des ventes en Angleterre. En France, il est désigné album du mois dans Rock’N’Folk. En plus des gigues bacchanales dont le groupe s’est fait une spécialité (la chanson-titre), IISFFGWG  dévoile tout un bazar d’influences amassées dans les ferias méridionales (« Fiesta »), les souks byzantins (« Turkish Song Of The Damned ») et les caniveaux de Broadway (« Fairytale Of New York »).  Si Shane McGowan continue de taper des vers capiteux à sa muse, IISFFGWG voit d’autres Pogues revendiquer une part de renom. Philip Chevron écrit « Thousands Are Sailing »; Jem Finer coécrit « Fiesta » et « Fairytale Of New York » avec McGowan. Pour cette dernière chanson, le processus de composition est inversé : Finer écrit les paroles (et quelles paroles !), McGowan  conçoit les arrangements. Kirsty McColl est invitée à chanter en duo avec Shane. Kirsty McColl est la fille du chansonnier écossais Ewan McColl- celui-là même qui a écrit « Dirty Old Town ». Une rockeuse méconnue qui a abordé de nombreux genres de musique, notamment par le biais de duos avec les artistes dont son mari Steve Lillywhite a produit les albums. Il en résulte un tube absolu, avec l’accroche péripatéticienne et les mélodies grosses comme des paquebots que cela suppose, mais dont la truculence et les noms d’oiseaux jetés dedans lui octroient un capital de sympathie gigantesque même auprès des intégristes.  

(Fairytale Of New York) 

"- C’était le soir de Noël, bébéDans l’aile des alcooliques

Un vieillard m’a ditQu’il n’en verrait pas un autre

Et ensuite il a chanté une chanson« The Rare Old Mountain Dew »

J’ai détourné mon visage et j’ai rêvé à toi

« J’suis tombé sur le bon cheval

Il est arrivé à 18 contre 1

J’ai comme l’impressionQue cette année sera la bonne pour toi et moi

« Alors, joyeux Noël, je t’aime chérie

Je peux voir une meilleure vie pour nous deux

Bientôt tous nos rêves seront exaucés 

« – Ils ont des voitures aussi longues que des comptoirs

Ils font jaillir l’or à flots

Mais toi le vent passe au travers de toi

C’est pas un endroit pour les vieillards comme toi

Quand tu as pris ma main pour la première fois Un soir de Noël où il faisait froid

Tu m’as promis que Broadway n’attendait que moi

Tu étais beau

« …et tu étais belle, la reine de New York

Quand l’orchestre a fini de jouer, ils ont crié pour un rappel

Sinatra swinguait, tous les alcoolos chantaient

On s’est embrassé dans un coin et on a dansé toute la nuit.

« Les gars des choeurs de la police de New York chantaient « Galway Bay »

Et les cloches sonnaient pour annoncer Noël. »

 « – T’es qu’un clodo, t’es qu’un voyou«-  

T’es qu’une vieille pute droguéequi gît là à moitié morte dans un lit sous perfusion

« – Espèce de sac à merde, sale vaurienSale pédale à deux balles

Joyeux Noël face de cul, je prie Dieu que ça soit notre dernier. »

« Les gars des choeurs de la police de New York chantaient « Galway Bay »

Et les cloches sonnaient pour annoncer Noël » 

« – J’aurais pu être quelqu’un« 

– Comme tout le monde Tu m’as enlevé mes rêves quand je t’ai trouvé

– Je les ai gardés avec moi, chérie,

Je les ai mis avec les miens

Je peux pas y arriver tout seul

J’ai construit mes rêves autour de toi. » 

 

Tino Rossi peut se retourner dans sa tombe : « Fairytale » devient la chanson de Noël favorite du Royaume-Uni et de l’Irlande. Le 45 tours s’écoule comme des conifères en décembre. « Fairytale » atteint la deuxième place des ventes de singles. 16 ans plus tard, en 2004, un sondage britannique révèle qu’elle est toujours la chanson de Noël préférée des Anglais. Le 19 décembre 2005, les Pogues reformés décident de ressortir la chanson au profit de la campagne « Justice for Kirsty » (Kirtsy McColl est décédée en 2000 d’un accident de plongée au Mexique impliquant le hors-bord d’un gros bonnet local. La lumière n’a jamais vraiment été faite sur l’accident). De nouveau, on s’arrache le duo du vieil alcoolique qui joue aux courses et de la vieille pute droguée sous perfusion. Le single grimpe à la troisième place des ventes la semaine de Noël.  A la sortie de l’album, les Pogues se lancent à nouveau dans une tournée de longue (et alcoolémique) haleine. Douze mois qui érodent les relations dans le groupe. Le comportement de plus en plus erratique de Shane commence à porter sur les nerfs du groupe tout entier. D’autre part, Philip Chevron, épuisé et malade, déclare forfait avant la partie américaine de la tournée. Il est remplacé par Joe Strummer, fidèle ami du groupe.  

Mutinerie 

 

Avec « Peace And Love » (1989), les Pogues rompent définitivement avec la musique brute des deux premiers albums pour se complaire dans un folk-rock radiophonique dessalé. Les titres centraux de l’album sentent l’Irish Stew fadasse qui se ragoûte à la va-comme-je-te-pousse dans les établissements pour gogos de Temple Bar *1. Une mixture de formules tièdes et de mélodies vite touillées. C’est à peine si McGowan lâche un molard dans la tambouille. Les « White City », « USA », « London You’Re A Lady » de sa concoction sortent un peu du lot, mais le morceau rédempteur revient à Jem Finer. « Misty Morning, Albert Bridge » est une aubade aussi instantanément onctueuse que du cappuccino en poudre. Les deux vont bien avec une gueule de bois. Joe Strummer met un holà en 1990 à la FMisation entamée avec Steve Lillywhite. Comme le précédent album, « Hell’s Ditch » est partagé entre les compositions de Shane McGowan et des velléités de fagotage de la part des autres membres du groupe. McGowan, qui est déjà, à l’époque, en compétition secrète avec le portrait de Dorian Gray pour le titre de tronche humaine la plus ravagée par les excès, y fourgue quatre de ses plus chouettes chansons. « The Sunnyside Of The Street » est un exemple de pensée positive à la Shane McGowan, « Hell’s Ditch » un concentré de noirceur émaillé de références à Jean Genet, « Rain Street » une chronique turbulente de la rue, « Summer In Siam » une méditation exotique.

 (The Sunnyside Of The Street)

J’ai vu le carnaval à Rome

J’avais les gonzesses, j’avais de la gnôle

Mais tout ce dont je me rappelle maintenant

C’est des gosses aux pieds nus 

Alors j’ai vu ce train et je suis monté dedans

Avec le coeur plein de haine et une envie de vomir

Maintenant je marche du côté ensoleillé de la rue J’ai enjambé des corps à Bombay

Essayé de réussir aux USA

J’ai fini au Népal

Sur le toit du monde avec rien du tout

Et j’ai su ce jour-là que j’allais rester où j’étais

Du côté ensoleillé de la rue J’ai créché dans un palace et j’ai fait de la tôle

J’ai juste pas envie de me réincarner en escargot

J’ai envie de passer l’éternité où je suis Du côté ensoleillé de la rue 

C’est quand ma mère s’est mise à pleurer que je me suis juré

De prendre ma vie comme on prendrait une putain

Je sais que je vais mieux qu’avant

Je ne me laisserai pas reconstruire *2

Je vais rester où je suis, Du côté ensoleillé de la rue.   

 

(Rain Street)

Les cloches de l’église sonnent

Un vieil alcoolo chante

Une jeune fille porte au clou ses bagues de mariéeSur Rain Street 

 Le panier à salade s’élança dans l’allée

Pour ramasser un macchabée qui tournait au bleu

Les gosses du coin sniffaient de la colle

Y’a pas grand-chose d’autre à faire

Sur Rain Street Le père McGreer achète une bière fraîche

Et une paire de shorts pour le père Loyola

Le père Joe a encore attrapé la chaude-pisse

Il boit un Coca-Cola

Sur Rain Street 

Bénissez-moi mon père car j’ai péché

Je me suis bourré la gueule et fait mettre en charpie

Et Dieu peut rien changer à mon état

Sur Rain Street Il y a un Tesco*3 sur la terre sacrée

Où j’ai baissé sa petite culotte

Tandis que Judas empochait sa récompense dérisoire

Et que St-Antoine lançait des regards stupéfaits au Christ

Sur Rain Street J’ai embrassé mon amour pour lui dire bonne nuit

J’ai essayé de faire une pissette tardive dans la nuit

Mais les chiottes ont bougé alors j’ai encore fait à côté

Sur Rain Street Je me suis assis par terre et j’ai regardé la téloche

En remerciant le ciel pour la BBC

C’est vraiment un putain d'endroit à la con où glander

Rain Street J’ai pris ma Eileinn par la main

« Marche avec moi » furent ses ordres

J’ai rêvé qu’on marchait sur la plage

Sur Rain Street Cette nuit là

Rain Street s’allongea sur des kilomètres

Cette nuit-là sur Rain Street, quelqu’un a souri.

 

 Peu importe de quel côté de la rue on l’aborde, McGowan fait montre sur cet album d’un semblant d’optimisme. Hélas…Le torchon brûle au cours de la tournée qui suit. Après un concert désastreux au Japon, le groupe saque son chanteur, qui se complait depuis trop longtemps dans un rôle de débris. « Ok, c’est l’heure de dire Sayonara, vas-y ma poule, brise-moi le coeur », chantait celui-ci sur « Sayonara », chanson qui acquiert rétrospectivement un caractère prophétique. Les Pogues y perdent plus que la somme d’une voix, d’une gueule et d’une plume uniques. Avec le départ de Shane McGowan, le groupe perd son âme.  Les Pogues désincarnés continuent à tourner et enregistrent deux albums, « Waiting For Herb » (1993) et « Pogue Mahone » (1996). Joe Strummer assume brièvement le rôle de frontman, qui échoit ensuite à Spider Stacy. Contre toute attente, le single « Tuesday Morning », tiré de « Waiting For Herb », se vent aussi bien qu’un truc quelconque s’est jamais vendu. Après la sortie de « Pogue Mahone », les Pogues restants annoncent leur séparation. De son côté, Shane McGowan assemble un groupe de malfaiteurs quasi-homonyme (The Popes) et sort en 1993 un premier album solo, « The Snake », qui reprend les préceptes de son ancien groupe, avec plus de guitares mais beaucoup moins d’allant. « Nancy Whiskey », « Roddy McCorley » et « The Rising Of The Moon » sont des reprises vite torchées de titres traditionnels. « Church Of The Holy Spook » est une profession de foi insolite ( « Ca l’a fait pour mon père, ça l’a fait pour ma mère, donnez-moi de cette église du St-Ectoplasme, ça le fait pour moi»), « Donegal Express » une sarabande amphigourique au refrain vicieux (« Kayaha, connard, par l’enfer, peut-être que j’ai baisé ta femme, mais j’ai jamais baisé ta fille ») et « A Mexican Funeral In Paris » une incu
sion ratée sur les plates-bandes de Los Lobos. Avec « You’Re The One » et « Haunted », McGowan essaie de refaire le coup de « Fairytale », sans succès. On patauge dans une mélasse d’arrangements sirupeux et de voix féminines éthérées. De toute évidence, McGowan n’en a rien à foutre. Les mélodies sont bâclées; la moitié des chansons sont carrément inintelligibles. « Y’a que toi qui vois que je suis fainéant, j’en ai rien à foutre de la célébrité, ni de l’argent, comme un enfant, je suis comme un enfant qui a oublié comment sourire », chante t-il dans « Victoria », dédiée à Victoria Clarke, amie de coeur de Shane et bientôt auteure de la biographie « A Drink With Shane McGowan » (2001).Au début des années 90, on s’arrache le baladin soûlographe. En 1992 il est invité à enregistrer une reprise du classique de Louis Armstrong, « What A Wonderful World », en duo avec Nick Cave. Il reprend « The Wild Rover » sur l’album « Auprès De Ma Bande » de Soldat Louis en 1993. Il chante quelques vers de « The Foggy Dew » sur l’album « Again » d'Alan Stivell, en 1994. On l’entend également sur « God Help Me » des Jesus & Mary Chain, sur leur album « Stoned & Dethroned ». Son deuxième album solo, « The Crock Of Gold », sort en 1996. De leur côté, Darryl Hunt forme le groupe Bish, Philip Chevron revient à ses Radiators, Terry Woods crée le Woodsband et Spider Stacy jongle des Vendettas aux Boys From The County Hell (groupe hommage aux Pogues).   

Ressuscitation 

 

Finalement, après moult tergiversations, les Pogues et Shane McGowan se reforment en décembre 2001 pour une mini-tournée de quelques dates. Ils récidivent en décembre 2004, à l’été 2005 (pour des concerts au festival de Guildford en Angleterre, et, plus symboliquement, au Japon, sans oublier un concert en Espagne), mars 2006 (pour leurs premiers concerts avec Shane aux Etats-Unis en 15 ans) et en mars 2007 (encore aux Etats-Unis). Les albums des Pogues ont été récemment remasterisés et remis sur le marché avec l’ajout de nombreuses chansons inédites ou versions alternatives. Il est aussi question d’un coffret d’artefacts inédits pour la fin de l’année.  

 

 

Joe L’Trembleur  

 

*1- Temple Bar est le nom d’un quartier branché de Dublin qui attire davantage les anglais en enterrement de vie de garçon et les touristes en goguette que les vrais Paddys.

*2-« Je ne me laisserai pas reconstruire » : Shane Mc Gowan a été interné pendant sa jeunesse et soumis à un processus de « reconstruction » qui n’a pas l’air de lui avoir laissé de bons souvenirs.

*3- Tesco est une chaîne de supermarchés Irlandais, l’équivalent d’Intermarché chez nous.  

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *